«Tout va exploser en plein vol» : en Algérie, la perspective d’une victoire du RN aux législatives inquiète

Par Adam Arroudj. LE FIGARO

23 juin 2024

Officiellement, Alger n’a pas commenté les derniers bouleversements du paysage politique français, mais les résultats des législatives du 30 juin et 7 juillet sont scrutés.

À

«Le Rassemblement national est obsédé par l’Algérie ! Comment voulez-vous qu’on envisage leur arrivée au pouvoir sereinement ?» 

À quelque 1300 kilomètres de Paris, à Alger, devant un kiosque à journaux saturé de portraits de Jordan Bardella et de Marine Le Pen, un retraité s’emporte. «Ici, personne n’a oublié 2002, Le Pen au deuxième tour de la présidentielle . Un para accusé d’avoir torturé les Algériens pendant la guerre (d’indépendance, 1954-1962, ndlr) ! Et voilà que ça recommence !»

Lamine, 45 ans, est boulanger, et comme de nombreux Algériens, compte une partie de sa famille installée en France. «On s’inquiète pour eux, bien sûr. Mes nièces à Toulouse sont paniquées, elles pensent même déménager en Angleterre. Elles sont Françaises, mais elles appréhendent ce qui va se passer…»

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Aucun commentaire officiel du pouvoir algérien

Dans le journal El Watan, autrefois quotidien francophone de référence, un éditorialiste s’alarme : «En France, nos expatriés sont particulièrement bouleversés car le Rassemblement national, qui milite pour des idées d’extrême droite, est aux portes du pouvoir. L’identité réelle des extrêmes droites qui ont fait de la politique migratoire leur fonds de commerce est clairement xénophobe. »

El-Hayat, un quotidien arabophone, en est persuadé : «Il est clair que la France aura un pouvoir issu de la droite identitaire après le 8 juillet ou lors de la prochaine présidentielle de 2027. Les Français devront tirer en les leçons, et on espère que le prix ne sera pas le sang.»

Officiellement, Alger n’a pas commenté les derniers bouleversements du paysage politique français, mais ses relais en France, notamment la Grande Mosquée de Paris, ne cessent de mettre en garde contre la vague Bardella-Le Pen.

Quid de la visite de Tebboune l’automne prochain ?

«Tout va exploser en plein vol. Le laborieux travail pour reconstruire une relation assainie va s’effondrer», prévoit un acteur économique du bilatéral, rencontré dans une soirée chic sur les hauteurs d’Alger, et aux yeux duquel les accolades chaleureuses entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune en marge du dernier G7 en Italie, largement partagées sur les réseaux sociaux, ne signifient rien. «Ce n’est qu’un feu de paille devant l’incendie qui se profile.»

Dans un tel contexte, la visite d’État en France du président Tebboune annoncée pour l’automne prochain «n’est plus envisageable», assure un journaliste algérois en estimant que des trois pays du Maghreb, l’Algérie «est sans doute celui qui a le plus à perdre, car tout le monde sait que le RN est proche du Maroc et favorable à la solution marocaine d’autonomie pour le Sahara occidental».

La question du Sahara occidental et de l’accord franco-algérien de 1968

Le conflit du Sahara occidental, contrôlé à 80% par le Maroc mais considéré comme un «territoire non autonome» par l’ONU, oppose depuis 1975 le royaume chérifien aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie.

Mais avant le Sahara occidental, un gouvernement dominé par le RN pourrait réviser ou abroger de manière unilatérale l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, comme l’a annoncé Sébastien Chenu au lendemain des élections européennes.

Sur le papier, cet accord prévoyait des facilités pour la circulation, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens sur le sol français à une époque où la France avait besoin de main-d’œuvre pour accélérer sa croissance économique. En pratique, notamment avec l’instauration d’une politique de visas, cet accord n’est plus si avantageux pour les Algériens.

Lune de miel avec Giorgia Meloni

Ce qui pousse un ancien diplomate à dédramatiser : «Un gouvernement RN prendra certainement des mesures symboliques pour rompre avec la politique de rapprochement avec Alger de Macron. L’Algérie s’offusquera pour la forme, mais la logique des relations État à État prévaudra. Les Algériens sont pragmatiques, regardez comment se passe la lune de miel avec Giorgia Meloni (présidente d’extrême droite du Conseil des ministres italien, ndlr)

Pour Khaled, un intermédiaire de la relation bilatérale, c’est toutefois sur l’aspect mémoriel que la relation bilatérale risque le plus d’être impactée. La commission franco-algérienne d’historiens, lancée par Tebboune et Macron, connaît déjà quelques difficultés en raison de l’intransigeance algérienne, en particulier sur la restitution des biens historiques. Alger a même communiqué, fin mai, à l’Élysée une liste de biens à récupérer. Le 11 juin, le député RN Matthieu Marchio a exigé de la ministre de la Culture qu’elle refuse cette demande émanant d’un «État étranger dont le gouvernement tient régulièrement un discours antifrançais».

«Le pas de deux entre Paris et Alger a assez duré», estime un haut fonctionnaire algérien, pragmatique. «Face à un exécutif clairement hostile, une clarification sera nécessaire. Nous pourrons mieux appréhender le bilatéral et non pas rester suspendus aux humeurs des deux présidents. Et tout le monde s’en portera mieux.»

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