«La gauche ne dit pas qu’on se fait insulter de mécréante quand on met un décolleté» : ces Français d’origine maghrébine qui votent RN

Par Steve Tenré. LE FIGARO

26 juin 2024

TÉMOIGNAGES – Ces électeurs rejettent «l’assignation» à gauche dont ils sont victimes, et votent pour lutter contre l’islamisme. Lorsqu’ils expriment leur engagement, ils sont mis sous pression.

«Nous ne sommes pas des “Arabes de service”, mais des Français qui veulent que la France reste la France.» Auprès du Figaro, ils sont nombreux à pousser ce cri du cœur. Les Français d’origine maghrébine, qui sont des millions de citoyens, sont devenus une cible électorale de haute importance pour les partis.

Accusée de la draguer en se positionnant en défense de l’islam dans l’espace public, la gauche a toujours été plébiscitée par le «vote musulman». Preuve en est cette étude Ifop pour l’hebdomadaire La Croix publiée le 11 juin, qui atteste que 62% des musulmans ont voté pour la liste de La France insoumise aux dernières élections européennes. Le RN n’a lui atteint que 6% des suffrages.

Clientélisme et incohérences de la gauche

Minorités d’une minorité, les votants RN dans la sphère musulmane, et plus largement dans la sphère d’origine maghrébine, n’en demeurent pas moins convaincus de leur choix. Et rejettent d’un revers de main les avances «intéressées» de la gauche. Pour Zineb*, la cinquantaine et vivant en Seine-Saint-Denis, «LFI et les autres partis qui disent défendre les musulmans prônent la défense de l’islam par pur clientélisme. En réalité, ils n’en pensent pas un mot.»

Pour Simon*, qui s’est converti à l’islam il y a quelques années avant de quitter la religion, «Mélenchon, qui se dit défenseur des musulmans, se moque de leur sort quand on sait qu’il y a quelques années, il insultait les femmes voilées en les traitant d’Afghanes et de fantômes . Bardella n’aurait jamais osé dire cela !», pense-t-il. «Aujourd’hui, Mélenchon soutient la Chine, qui opprime les musulmans ouïghours, donc cet homme exploite les musulmans pour obtenir des voix.»

Hakim, étudiant en sociologie de 26 ans, d’origine algérienne, et qui va également voter RN, juge d’autant plus opportuniste la position de la gauche qu’elle «amalgame toutes les luttes». Il pointe ainsi le «wokisme»et le «transgenrisme » prônés par LFI, pourtant totalement «incompatibles avec la pensée de l’islam». «Les wokistes ne s’en rendent même pas compte, mais ils sont les instruments des fréristes !», s’indigne-t-il.

Au-delà du «clientélisme», Zineb* «en a marre d’être constamment assignée» à la gauche. Elle se rappelle d’une distribution de tracts dans sa ville, où un militant LFI lui avait dit que le parti «(la) défendrait coûte que coûte, car les musulmans sont discriminés». Or, Zineb n’est pas musulmane. «Pour la gauche “bienveillante”, qui veut défendre les minorités, un Français d’origine maghrébine est forcément musulman. Et s’il ne vote pas pour elle, c’est qu’il est stupide et qu’il ne sait pas ce qui est le mieux pour lui. Les islamistes ont le même mode de pensée, puisqu’une Maghrébine doit forcément être musulmane et voilée, selon eux.»

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«Macron a fait d’innombrables promesses, il n’en a tenu aucune»

Les Français que nous avons interrogés, qu’ils soient de confession musulmane ou non, comptent voter RN, non pas seulement pour «faire bloc contre l’extrême gauche», comme ils nous disent, mais aussi pour lutter contre l’islamisme et l’insécurité«Je ne pense pas que le RN a réponse à tout…», souffle Leïla*. «Mais est-ce que ça peut vraiment être pire que maintenant ?» La jeune femme, musulmane «modérée» qui vit à Marseille, est lasse des scènes de violence qui parcourent chaque semaine la cité phocéenne. «Disons les choses telles qu’elles sont : beaucoup de délinquants sont des petits qui crient “wallah” à tout bout de champ. Ils font du mal à la communauté musulmane, car on associe leurs actes à l’islam. Je ne sais pas si le RN arrangera les choses, mais c’est le seul parti qui le dit. Les autres, Macron, Mélenchon, ils ne le disent jamais. Ce sont juste des “jeunes” pour eux!»

Un désir de sécurité et de «vérité» que partage Simon*. «Depuis que Macron est élu, l’état de notre pays s’est empiré sur le plan sécuritaire», estime-t-il, évoquant également un «pauvre» bilan sur «l’islamisation»du pays, alors qu’un récent sondage de l’Ifop pour le JDD notait que 35% des musulmans âgés de 18 à 25 ans souhaitaient l’application de la charia en France«Le RN ne va pas sauver la France, mais c’est probablement un moindre mal face à Macron ou la gauche qui pactise avec l’islamisme.» Et qu’importe les tergiversations du RN sur certaines promesses, comme l’interdiction du port du voile, ou les mesures prises ces dernières années par les gouvernements macronistes, comme le bannissement de l’abaya dans les établissements scolaires ou l’expulsion d’imams radicaux grâce à la loi immigration.

«Mais enfin, la loi immigration a été charcutée!», s’énerve de son côté Myriam, mère de famille d’origine maghrébine, au Figaro«Macron a fait d’innombrables promesses, il n’en a tenu aucune. Les constructions de prisons ? Walou ! (sic) Tous les OQTF renvoyés ? Walou ! (sic)» Et de poursuivre : «Je vote RN car il faut restaurer l’autorité. Macron n’a même pas fait preuve de fermeté pendant les émeutes (de juin 2023, NDLR). Dans les transports, on ne peut plus dire un mot quand il y a de l’irrespect. Pour une place de parking, on peut recevoir un coup mortel», énumère l’infirmière.

Victimes de l’islam radical

«Mon vote RN n’est pas un vote d’adhésion totale, mais un symbole», avance de son côté Aida*, trentenaire d’origine tunisienne, non-musulmane. Un positionnement qui s’explique par deux agressions verbales commises par des musulmans radicaux, pendant le ramadan, alors qu’elle mangeait à la terrasse d’un café un midi, et un sandwich dans la rue un autre. «Je vis depuis plusieurs années dans un quartier très musulman, et depuis je rase les murs», reprend Myriam. «Un jour, ma fille est venue me rendre visite avec une de ses amies marocaine. Sa copine portait un haut assez sexy et, dans le bus, une femme voilée l’a insultée et l’a traitée de mécréante!»

«La gauche ne dit pas qu’on se fait insulter de mécréante quand on met un décolleté!», clame également Aida*. Pour une précédente enquête du Figaro , Lina, d’origine algérienne et âgée de 29 ans, avait relaté une agression verbale similaire, à Châtelet-les Halles, à Paris en 2019. «Un homme m’avait dit qu’en tant que “sœur”, je devais me voiler. Je lui avais répondu qu’il ferait mieux de se mêler de ses affaires, et moi des miennes. Avant de me rétorquer : “Non, car j’aurai des comptes à rendre à Allah sur ton comportement”.»

Le passé de leurs proches et parents, confrontés aux mouvements islamistes dans leur jeunesse, est un argument qui revient régulièrement. Sonia, franco-tunisienne, nous explique notamment que «la société civile tunisienne a bouté les islamistes hors du pouvoir, et je vois les mêmes tenter de le prendre en France !». Quant à Zineb, elle nous relate les horreurs qu’a vécues sa famille lors de la guerre civile algérienne, face aux islamistes du Front islamique du salut ou du Groupe islamique armé. «Mon ami a vu un de ses cousins décapité. Un proche musicien a été torturé. Ces gens-là, chassés, viennent aujourd’hui en France», juge-t-elle.

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Mis sous pression pour leur vote

Aucun de nos intervenants n’a mis en avant le programme économique ou social du RN. Preuve, s’il en fallait une, que ce vote est là pour «envoyer un message», clame Aida*. Pour celles et ceux qui ont exprimé publiquement leurs opinions, c’est la foire aux insultes et aux pressions. Channa, qui gère la chaîne Youtube Channa Sparkle dans laquelle elle raconte son parcours d’apostate, nous confie que son choix politique «l’a exposé (sur les réseaux sociaux) à des insultes de la part de certains membres de la communauté maghrébine. Je suis traitée de harki, de vendue, de traître. Je reçois des messages qui disent “Ils ne t’aiment pas, ils vont te renvoyer au bled!”. Pourtant, je possède la nationalité française…»

Au-delà des réseaux sociaux, certains de nos intervenants cachent leur vote RN à leurs proches, par peur de devoir couper les ponts. L’une d’elles, Myriam, l’a fait. Elle ne parle plus à ses tantes, cousines, oncles, qu’elle juge politiquement trop opposés à elle. Zineb* a même eu une violente confrontation verbale avec l’un de ses neveux, d’une vingtaine d’années, il y a quelques mois, quand elle disait que «le RN est sans doute moins fasciste que LFI»«Il m’a dit que je lui faisais honte et que je n’étais qu’une “Arabe de service”.»

Une candidate RN de la 8e circonscription de l’Isère, Hanane Mansouri, a justement été traitée de nombreuses fois d’«Arabe de service», comme elle s’en est plainte chez Europe 1. Des dizaines d’internautes, affichant généralement un drapeau palestinien dans leurs pseudonymes, lui reprochent sur les réseaux d’être une «beurette» se soumettant «aux blancs», et l’insultent même de «kehba» («prostituée», en français). «Ces attaques racistes venant de la gauche ne m’impressionnent pas. Au contraire elles me motivent!», a réagi la candidate. Des propos qui lui ont valu encore plus d’insultes, a pu constater Le Figaro.

*Certains prénoms ont été changés

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