Législatives: en macronie, l’effroi et le «sauve-qui-peut»

Par Loris BoichotLouis Hausalter et Tristan Quinault-Maupoil

28 juin 2024. LE FIGARO

Déjà sonnés par la perte d’une majorité absolue en juin 2022, les membres du camp Macron craignent de passer de 250 députés à une petite centaine, sur 577 sièges. 

RÉCIT – Toujours sidérées par la dissolution d’Emmanuel Macron, ses troupes redoutent de disparaître en masse de l’Assemblée.

Lorsque le président de la République s’approche de son pupitre installé dans le chic Pavillon Cambon, à Paris, ce mercredi 12 juin, un conseiller réactive immédiatement le son de son téléviseur. À l’écran, les chaînes d’information tournent en boucle depuis trois jours, et la dissolution inattendue de l’Assemblée nationale. Manifestement secoué lui aussi par sa propre décision, Emmanuel Macron enjoint à son camp de ne pas se laisser gagner « par l’esprit de défaite », lors d’une conférence de presse.

Mais à distance, dans ce bureau de Bercy, rien n’y fait. On ne croit déjà plus à un retournement de situation alors que la gauche vient de réussir à s’unir. Un vice de forme dans l’analyse présidentielle, puisqu’une telle alliance était jugée impossible, au lendemain d’européennes menées à couteaux tirés. Désormais pris en étau entre le Nouveau Front populaire et un Rassemblement national (RN) soutenu à la surprise générale par le président des Républicains (LR), Éric Ciotti, les macronistes voient fondre leurs espoirs de « sursaut ».

«Inéluctable»

Pas plus de cinq minutes ont passé, avant que le conseiller ne se détourne de la logorrhée présidentielle. Devant son bureau, une benne a été installée. Il est déjà l’heure de faire le tri. Le président en bruit de fond, le voilà en train de mettre les dossiers en souffrance de côté, de jeter les parapheurs en attente de signature… Comme le règne du macronisme après sept ans de domination sur la vie politique française, les feuilles volent pour faire place nette. Bientôt, un huissier viendra récupérer les documents. Dans le ministère, un incinérateur se chargera de les détruire. Pourquoi attendre les résultats des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet ? La résignation s’empare du camp présidentiel. « Il y a le sentiment d’un côté inéluctable, admet un stratège de la campagne. La question, c’est “est-ce que le RN aura une majorité relative ou absolue”. » Déjà sonnée par la perte de sa propre majorité absolue en juin 2022, la macronie craint de passer de 250 députés à une petite centaine, sur 577 sièges. Le legs du président est menacé.

Lui qui s’engageait au Louvre, au soir de sa victoire en 2017, à ce que les Français « n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes », se retrouve présenté comme un accélérateur du vote RN. Au point de désorienter ses compagnons de route historiques. « On s’est engagé avec beaucoup d’enthousiasme derrière lui en 2017. Que l’histoire puisse se terminer avec une majorité du RN, même relative, c’est insupportable », insiste l’ex-patron des députés Marcheurs Gilles Le Gendre, candidat dissident à Paris. Dans les ministères, la perspective de devoir organiser des cérémonies de passation de pouvoirs avec les lepénistes saisit d’effroi les intéressés. « Je ne sais pas ce que je ferai, mais on ne doit pas normaliser ce qu’il se passe dans le pays », glisse un membre du gouvernement.

Habitués à la vie de responsables majoritaires, les soutiens du chef de l’État se préparent pour la première fois à connaître l’opposition parlementaire. Dans les échanges avec leurs électeurs, il est davantage question d’éviter une Assemblée ingouvernable ou une cohabitation avec le RN, plutôt que de « donner une majorité » à Emmanuel Macron pour reconduire Gabriel Attal à Matignon. « Les gens nous accueillent beaucoup plus gentiment qu’aux européennes et qu’en 2022, constate Guillaume Vuilletet, député (Renaissance) du Val-d’Oise depuis 2017. Mais est-ce que c’est de la compassion, parce qu’ils nous voient comme de grands brûlés ? » « Une élection si rapprochée de la précédente confirmera toujours la même tendance, un sursaut, ça n’existe pas », tranche un important ministre. Fait nouveau, les députés sortants parient sur une implantation locale qui leur a pourtant longtemps été déniée, plutôt que sur leur proximité avec Emmanuel Macron, formule autrefois gagnante.

Il y a le sentiment d’un côté inéluctable. La question, c’est “est-ce que le RN aura une majorité relative ou absolue”Un stratège de la campagne

«C’est terminé»

Sur les marchés et en porte-à-porte, tous constatent le désarroi des Français après la dissolution. « On sent beaucoup d’inquiétude chez les concitoyens », admet auprès d’un commerçant la présidente de l’Assemblée sortante, Yaël Braun-Pivet, dans sa ville du Vésinet (Yvelines). À Marseille, où elle se représente, la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache observe que « les gens n’ont pas compris la décision du président ». Les macronistes non plus. « Erreur apocalyptique », « idée suicidaire », « folie »… Ministres, conseillers et parlementaires fustigent en privé la décision du chef de l’État. Le macronisme, « c’est terminé », décrète depuis la Corrèze un certain François Hollande, reparti en campagne pour s’offrir une nouvelle vie de député.

À lire aussiÉlections législatives : au marché de Créteil, le malaise des Jeunes avec Macron face à l’indifférence des électeurs

Pour les soutiens d’Emmanuel Macron les plus férus d’histoire politique, la campagne rappelle celle qu’a menée le camp de Jacques Chirac après la dissolution de 1997. Et cet échange entre l’ancien président du RPR et sa plume, Christine Albanel, le texte de son allocution sous les yeux, le soir de son annonce : « Quand je vous lis, je ne comprends pas pourquoi je dissous. – Mais moi non plus, Monsieur le président, je ne comprends pas. » Vingt-quatre ans plus tard, la même incompréhension saisit les troupes macronistes. « Quand on passe la campagne à expliquer pourquoi on dissout, on a déjà perdu », diagnostique un proche d’Édouard Philippe. Sans cesse, Emmanuel Macron doit justifier sa décision, au nom d’une « clarification » du paysage politique. Souligner son caractère inéluctable, lui qui a considéré que cette Assemblée remuante et sans majorité absolue n’était plus tenable.

« Personne ne s’y attend, alors faisons les choses maintenant », lance-t-il dès le soir de son échec aux européennes, le 9 juin, aux ministres de poids et aux gradés de son camp réunis à l’Élysée, avant de l’annoncer à la télévision. Certains se répandront à plus ou moins haute voix pour signifier leur désapprobation. Mais sur le moment, personne n’ose le contredire, à part Yaël Braun-Pivet, qui demande à lui parler en particulier pour tenter de l’en dissuader. Autour de la table, Bruno Le Maire tient à rappeler qu’il a déjà vécu une cohabitation après une dissolution « de confort », en tant que proche de Dominique de Villepin, inspirateur de la manœuvre ratée de Chirac en 1997. Mais le ministre de l’Économie se met lui aussi au garde-à-vous : « Votre décision est la nôtre, nous l’appliquerons. » Quelques jours plus tard, dans les médias, il pointera « l’incompréhension » et « la colère » suscitées par cette «décision d’un seul homme », avant de traiter de « cloportes » les conseillers du pouvoir. Dans son viseur : l’ancien journaliste Bruno Roger-Petit et l’ex-sénateur Pierre Charon (LR), suspectés d’avoir secrètement encouragé le chef de l’État depuis plusieurs semaines.

«Je vais à la guerre»

Cette décision, tout le monde ou presque en macronie en pense du mal, mais un seul l’a-t-il dit en face au chef ? « Je n’ai jamais entendu des gens le lui reprocher dans une réunion », confie un participant à plusieurs conciliabules politiques récents autour du président. Ce dernier intimide encore, en dépit de l’« usure » que lui ont diagnostiquée le ministre philippiste de la Transition écologique, Christophe Béchu, et le numéro trois du gouvernement Gérald Darmanin (Intérieur). « Quelle bande de faux culs, ces ministres et ces mecs de Renaissance qui ont sauté de la barque du jour au lendemain !, s’élève le député de l’Hérault Patrick Vignal, macroniste de longue date. Moi aussi, le dimanche soir de la dissolution, je me suis demandé : “Pourquoi il fait ça ?” Mais le boss, c’est le boss. Une fois qu’il a décidé, je vais à la guerre. » « Beaucoup sont soudainement très durs avec le président. C’était moins le cas quand il avait des postes à distribuer », relève lui aussi Gérald Darmanin, accusé par ses collègues d’avoir convaincu Emmanuel Macron de dissoudre, lors d’un aparté dans l’avion qui les ramenait d’un déplacement furtif en Nouvelle-Calédonie, le 24 mai dernier. Dix jours plus tard, Gabriel Attal interroge son ministre sur les leçons qu’il faudrait tirer de la défaite attendue aux européennes. « Dissoudre », lui lâche-t-il, sans que le chef du gouvernement ne le prenne au sérieux et s’imagine repartir en campagne pour survivre à Matignon.

Pour la première fois dans l’histoire du macronisme, ce n’est pas le général en chef qui est appelé par les combattants pour les épauler sur le champ de bataille. En juin 2022, le chef de l’État avait tardé à s’élancer, au grand dam de ses soutiens. Deux ans plus tard, il se démultiplie alors que chacun s’accorde à vouloir « démacroniser » la campagne, selon l’expression assumée par l’allié centriste du Mouvement démocrate (MoDem), François Bayrou.

Le soir de la dissolution, le président annonce à ses ministres qu’il interviendra trois fois par semaine, comme le rapporte L’Express . Dès la parution de l’article, le pôle communication de l’Élysée s’empresse de crier à la fausse information. Mais par son comportement, Emmanuel Macron démentira le démenti. En visite au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne), le 17 juin, Gabriel Attal est interpellé par l’un de ses soutiens : « Vous, vous êtes bien, mais il faudra dire au président qu’il ferme sa gueule. »

Les gens nous accueillent beaucoup plus gentiment qu’aux européennes et qu’en 2022. Mais est-ce que c’est de la compassion, parce qu’ils nous voient comme de grands brûlés ?Guillaume Vuilletet, député (Renaissance) sortant

En réalité, s’il laisse à son premier ministre – visage que les députés sortants afficheront sur leurs tracts – le soin d’aller soutenir les candidats et de pointer les projets des « extrêmes » qui mèneraient « à la ruine », le chef de l’État ne cesse de parler. Il fustige le « programme totalement immigrationniste » du Nouveau Front populaire, en marge d’une cérémonie sur l’île de Sein. Il profite d’un G7 en Italie pour traiter de « fous » les défenseurs des visions économiques de la gauche et du RN. Il saisit le micro lors de la Fête de la musique de l’Élysée pour dénoncer « des extrêmes qu’on ne peut pas laisser passer ». Il transmet à la presse régionale une lettre aux Français dans laquelle il promet de «changer profondément » sa manière de gouverner. Il accorde près de deux heures d’entretien à un podcast dans lequel il estime que la victoire d’un autre camp que le sien mènerait à « la guerre civile », avant enfin de s’élever, jeudi soir, contre la « parole désinhibée » et « le racisme ou l’antisémitisme » dans le débat politique. « Je ne ferai pas campagne aux législatives », avait-il pourtant assuré dans sa conférence de presse.

De plus en plus seul

À Matignon, on soupire à chaque déclaration venue de l’Élysée. Entre le président et le premier ministre, qui a hésité à démissionner en apprenant la dissolution, le dialogue se limite au strict minimum. En particulier lors de conseils de ministres sinistres, où l’on procède à la hâte aux dernières nominations avant une probable cohabitation. L’entourage présidentiel tente de justifier un partage des rôles : «Gabriel Attal est le chef de la campagne. Il multiplie les interventions et va au clash. Le président privilégie des formats longs, qui correspondent à sa fonction et sa posture institutionnelle. » À son irrépressible envie d’apparaître, aussi ? « Dans cette campagne, il y en a deux qui parlent alors qu’ils devraient se taire : c’est Macron et Mélenchon », balance un conseiller de la majorité, qui y voit un chemin tout tracé pour le tandem Bardella-Le Pen.

Quelque chose s’est brisé entre le président de la République et ses fidèles. « Il n’a plus le même rapport que nous à la réalité », confie un ministre de premier plan. « Nommé » hier, Gabriel Attal appelle aujourd’hui les Français à le « choisir » à Matignon. L’ancien premier ministre, Édouard Philippe, accuse le président d’avoir « tué la majorité présidentielle » et prend date pour construire une « nouvelle majorité ». Les proches du maire du Havre sont ceux qui souhaitent le plus s’émanciper du chef de l’État. Nouvelle marque de distance : les quelque 80 candidats philippistes sont partis sur leur propre étiquette, Horizons, plutôt que sous les couleurs de la coalition « Ensemble pour la République ! » qui réunit Renaissance et le MoDem. « Même si ça se passe bien pour nous, nous serons ensuite en cohabitation face à lui », promet carrément une ministre Renaissance en campagne.

Emmanuel Macron veut croire qu’il peut « élargir » sa majorité, mais ses potentiels alliés de la gauche et de la droite modérée ne se manifestent pas, et son camp se fissure. En vue de la prochaine présidentielle, les ambitieux Gabriel Attal, Édouard Philippe, François Bayrou, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin doivent revoir leurs plans. L’après-2027, « c’est un schéma sans le président de la République, ce qui l’agace profondément, explique le député (MoDem) sortant Jean-Louis Bourlanges. D’où sa volonté, dans ce théâtre, de se replacer au centre de la scène ». Quitte à y être de plus en plus seul, si le gros de ses soutiens disparaît des bancs.

Laisser un commentaire