À Denain, la maire socialiste cajole les Frères musulmans

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Dans cette ancienne cité minière du Nord, qui a inspiré Zola pour « Germinal », la municipalité s’appuie sur d’improbables alliés…

Par Clémence de Blasi – Publié le 14/02/2020 | Le Point 


        Premiere ligne. 30 juillet 2016. Rassemblement en hommage au pere Hamel, assassine le 26 juillet.  L'imam Hassan Iquioussen, proche des Freres musulmans, est convie a la ceremonie par la maire.
Première ligne. 30 juillet 2016. Rassemblement en hommage au père Hamel, assassiné le 26 juillet. L’imam Hassan Iquioussen, proche des Frères musulmans, est convié à la cérémonie par la maire.

Parmi les stars de la prédication francophone en ligne, l’imam Hassan Iquioussen est l’une des plus controversées. Le prêcheur vedette de l’UOIF, organisation proche des Frères musulmans, devenue Musulmans de France (MF), a bâti sa notoriété sur des propos sans ambiguïtés. « Votre approche laïque de l’islam est criminelle. […] Islam et politique sont indissociables », répète-t-il à ses fidèles par caméra interposée. L’homme au visage poupin est convaincu que l’islamisation de la société ne doit pas se faire par la violence, mais par tous les moyens légaux, des élections à l’enseignement en passant par la vie associative.

Ses prises de position, ouvertement antijuives ou homophobes, ne l’empêcheront pas d’être appelé par la maire socialiste de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini, à représenter la communauté musulmane lors d’une cérémonie organisée en hommage au père Jacques Hamel, le 30 juillet 2016. Le prêtre, quatre jours plus tôt, a été égorgé dans son église par deux islamistes. Hassan Iquioussen, le « prêcheur des cités », également surnommé « le gourou » dans sa propre communauté, se recueille au premier rang, juste à côté de l’édile. Pourquoi lui, alors qu’il n’habite même pas la ville et qu’on trouve d’autres imams plus consensuels dans les deux mosquées de Denain ?

Quenelle au SénatHassan Iquioussen a pris ses quartiers dans le Denaisis une petite dizaine d’années plus tôt, en famille. L’imam est le père de cinq garçons. L’aîné, Soufiane, se fait un prénom lorsqu’il décide de lancer son association, Actions citoyennes, en janvier 2012. Son frère Locqmane en est membre, ainsi que plusieurs de leurs amis, tous de confession musulmane. « Ils disaient que les jeunes devaient réinvestir la sphère politique locale et se proposaient de nous aider, se souvient le maire d’une commune voisine. Leur discours était intelligent et propre, certains ont été charmés par la démarche. » 

Aficionados. Soufiane Iquioussen est présent le 7 février à l’inauguration du local de campagne d’Anne-Lise Dufour-Tonini… 
… où Youssouf Feddal s’improvise en chauffeur de salle.

Jusqu’alors allocataire du RSA, Soufiane se voit chargé de la communication d’une entreprise d’insertion en réparation automobile, le Garage solidaire du Hainaut, à Denain. Le PS local soutient l’initiative et pousse le jeune homme sur le devant de la scène. Anne-Lise Dufour-Tonini use de toute son influence de députée et de maire pour que le Garage solidaire obtienne des subventions publiques conséquentes : plusieurs centaines de milliers d’euros ! En octobre 2013, avec le concours du réseau socialiste, Soufiane Iquioussen est propulsé aux Talents des cités, un concours organisé par le Sénat pour promouvoir des entrepreneurs de la diversité.

Le jour dit, il s’y rend pour obtenir son prix… et en profite pour faire quelques photos avec ses amis, sourire aux lèvres et trophée à la main, en train d’exécuter une quenelle – un geste « antisioniste » et antisystème popularisé dans l’un de ses spectacles par l’humoriste Dieudonné. Les photos, diffusées sur les réseaux sociaux, se répandent comme une traînée de poudre. « À nos yeux, ça n’avait pas de signification politique particulière », se défend Soufiane Iquioussen. L’engagement pro-Hamas de son père, pourtant, n’est un secret pour personne… « Ces photos ont seulement été utilisées pour nous nuire au moment des municipales de 2014 », assure-t-il. En dépit de l’incident, Soufiane et sa bande se retrouvent sur la plupart des listes socialistes des communes avoisinantes lors des élections.

Affaires immobilières. Contrairement à ses amis et à son frère Locqmane, Soufiane Iquioussen n’est pas élu à Escaudain, une commune voisine de Denain, où il se présente. Le jeune homme entend se servir du Garage solidaire comme d’un tremplin pour sa carrière. Mais, très vite, les choses tournent mal. Les soupçons de malversations grandissent : en moins de deux ans, les comptes du Garage plongent dans le rouge. Les financeurs s’évanouissent, ce qui entraîne la liquidation en 2017. Le concepteur du projet, Ali Janan, décide très tôt de se retirer de l’association. « J’ai quitté le Garage solidaire avant l’enquête de la gendarmerie, mais elle ne m’a pas du tout surpris, explique aujourd’hui ce référent social d’un centre communal d’action sociale (CCAS) des environs. Soufiane arrive à endormir tout le monde. Je peux vous assurer que c’est bien le fils de son père… » 

« Dieudonnisme ». À la remise des talents des cités, le 19 octobre 2013 au Sénat, Soufiane Iquioussen (troisième à partir de la droite) mime la « quenelle » popularisée par l’humoriste controversé Dieudonné.

La maire socialiste de Denain ne retire pas pour autant sa confiance à Soufiane : après une quenelle et une faillite suspecte, celui-ci réapparaît en tant que chargé de l’insertion au CCAS de la ville. « S’il s’agit de faire du clientélisme, c’est un poste important… note Sébastien Chenu, député du Rassemblement national, et candidat aux municipales. Les Iquioussen et leurs proches font de l’entrisme. Ils ont pris le pouvoir et construisent leur projet religieux sur le long terme. En attendant, ils font des affaires avec de l’argent public. » Hassan Iquioussen, le père, s’est progressivement imposé comme un partenaire économique incontournable de la ville. Il a créé plusieurs sociétés civiles immobilières et acheté un terrain de 630 mètres carrés à la commune en 2015, de même qu’une ancienne école catholique denaisienne située à une centaine de mètres de la mairie, reconvertie depuis en une vingtaine de logements. « Petit à petit, la famille s’est infiltrée partout », déplore Yvon Riancho, ex-conseiller socialiste à Douchy-les-Mines, également candidat sans étiquette à la mairie de Denain.

Friterie halal. Plusieurs alertes sont lancées, y compris au sein de la communauté musulmane de la ville, qui ne voit pas franchement d’un bon œil l’ascension politique éclair de proches du prêcheur Hassan Iquioussen, sur fond de bonnes affaires. Anne-Lise Dufour-Tonini en fait fi, choisissant même de faire de Soufiane Iquioussen son directeur de cabinet officieux, quitte à s’isoler politiquement. L’homme de 34 ans est désormais omniprésent à ses côtés. La désignation de l’un de ses proches, Youssouf Feddal, à la tête d’un comité La République en marche favorable à la mairie a d’ailleurs eu raison d’une tentative d’alliance des gauches initiée par l’édile sortante, candidate à sa réélection, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations répétées. « Ce n’est pas un fantasme d’extrême droite de dire que des politiques, à des fins électoralistes, font hélas le jeu de l’islamisme », écrit Mohamed Louizi, auteur de Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (2016) sur son blog. L’essayiste met en garde depuis plusieurs années contre cette famille, qui multiplie les procès contre lui.

« L’alliance de la majorité avec les Iquioussen et leurs amis est un désastre. Le Rassemblement national n’a pas besoin de faire campagne. Son meilleur agent électoral est la majorité en place, juge un observateur aguerri de la vie politique locale. La mairie joue une seule carte, polariser le débat : l’extrême droite xénophobe d’un côté, des socialistes représentant les minorités de l’autre… »

Du côté des instances départementales du PS, on jure n’être au courant de rien. Même pas de la polémique créée par le lieu choisi par la maire de Denain pour ses dernières réunions publiques : une friterie halal, lancée il y a peu dans une zone excentrée de la ville par un membre par alliance de la famille de Soufiane Iquioussen, grâce à une aide à l’installation votée par la ville fin 2019. « C’est une erreur politique de faire ça, mais elle persiste. En mars, Denain risque de devenir le Hénin-Beaumont du Nord… », soupire, dépité, un militant socialiste local.

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