Jean-Luc Mélenchon : le pouvoir ou le chaos

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OBSESSION. Le leader de La France insoumise joue son destin politique dans les semaines qui viennent. Un enjeu qui le rend immaîtrisable. Figure centrale de sa stratégie : Rima Hassan, militante pro-palestinienne en mission pour provoquer la révolte à partir des universités.

Antonin André28/04/2024

Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon.
Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon. © MaxPPP

La convocation de Rima Hassan par la police pour apologie du terrorisme ? « Il ne pouvait rien nous arriver de mieux ! » s’emballe une députée LFI. Au lendemain de l’interdiction d’une conférence sur la Palestine de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan à l’université de Lille, le timing judiciaire sert idéalement la campagne des Insoumis. Un ministre proche d’Emmanuel Macron s’en inquiète : « C’est juste parfait pour la stratégie de conflictualisation de Mélenchon. Il ne vit que de ça et on lui file du carburant ! » 

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D’autant plus explosif que la stratégie « du bruit et de la fureur », longtemps utilisée comme arme de conquête du pouvoir, est devenue une arme défensive. Fort de ses 22 % au premier tour de 2022, Mélenchon ne survivra pas à une déroute aux européennes, même en atteignant la barre des 5 % s’il se retrouve largué loin derrière un Glucksmann à plus de 12 %. Et ce n’est pas sur son programme qu’il mobilisera les foules.

« Il veut changer l’eau du bain des européennes, décrypte son ancien compagnon de route au PSJean-Christophe CambadélisDe la même façon que Macron utilise Poutine comme élément déterminant de son duel avec le RN, Mélenchon fait de Netanyahou le point discriminant à gauche. » Et pour imposer ce clivage, qui de mieux qu’une figure comme celle de Rima Hassan ? Jeune femme charismatique de 31 ans, née dans un camp de réfugiés en Syrie, elle est juriste en droit international et ardente militante de la cause palestinienne.

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Au lendemain des massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas, elle y voyait la conséquence de « la logique d’apartheid » d’Israël. C’est avec elle que Jean-Luc Mélenchon fait la tournée des universités. C’est elle qui est allée soutenir le blocus des étudiants pro-palestiniens à Sciences-Po vendredi. Le leader insoumis habille habilement son combat en le présentant comme l’ultime bataille contre la dernière résurgence de l’esprit colonial du monde occidental.

Et Manon Aubry dans tout cela ? Disparue. Ses propositions sur l’Europe ? Inaudibles. Rima Hassan s’est imposée comme la tête de liste LFI et la plus proche figure choisie par Mélenchon pour s’afficher à ses côtés. En lieu et place de Sophia Chikirou, stratège qui chuchotait depuis longtemps à l’oreille du chef, et qui s’agace ouvertement aujourd’hui de l’espace occupé par sa rivale.

À 72 ans, lorsqu’on est passé si près d’un duel de second tour à la présidentielle, que l’on s’est convaincu que le poste de Premier ministre était à sa portée, tout cela après s’être convaincu d’être l’héritier de François Mitterrand (voir article ci-contre). Se battre pour sa survie justifie d’y parvenir par tous les moyens. Y compris par la violence, le chaos. Car c’est bien son épopée personnelle qui l’obsède. Tous les anciens du parti socialiste décrivent le même travers : celui d’un homme qui a toujours vécu comme une injustice de ne pas être « le premier », « le héros ».

Jean-Luc Mélenchon, homme de gauche, s’est détourné depuis longtemps du sort d’étudiants

Jean-Luc Mélenchon, homme de gauche, s’est détourné depuis longtemps du sort d’étudiants dont la préoccupation quotidienne est moins la cause palestinienne que la question de se nourrir au moins une fois par jour. À leur survie matérielle il n’apporte aucune réponse. Peu lui importe que les musulmans de ce pays soient protégés au même titre que les citoyens d’autres confessions de la menace islamiste, il les convainc que l’État français les associe aux extrémistes pour les rabaisser. Nourri depuis 1986, date de son entrée au Sénat, au biberon de la République, il se met en scène dans une victimisation comparable à celle d’étudiants démunis ou de populations d’origine immigrée mal considérées. Lui qui prend toujours l’avion en classe affaires, même pour un Paris-Nice, parce que sinon, « ça casse le dos ».​

À ces électorats qui ne votent plus, écœurés par l’abandon des gouvernements successifs, il fait une seule promesse : la vengeance. Le renversement d’un « système » qui recouvre un ensemble indéfini d’oppresseurs jusque dans sa propre gauche. À l’occasion de cette campagne des européennes, Mélenchon a franchi un cran supplémentaire dans l’échelle de la violence. Des bancs de l’Assemblée, ses députés les plus fidèles ont déployé sur les réseaux sociaux des armées de trolls. Les ministres sont insultés, les anciens partenaires de la Nupes accusés de complicité avec l’État répressif. Lorsque Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe écologie les Verts s’indigne de l’interdiction d’une conférence de LFI par une université – « Qu’on soit d’accord ou pas avec Jean-Luc Mélenchon », précise-t-elle –, une armée de militants insoumis dénoncent un « faux soutien », une « duplicité » de l’écologiste.

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Plus choquant encore, lorsque Mélenchon s’en prend à l’un de ses enfants. Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne, est né en politique et a grandi dans le giron de son aîné. À une époque où ce département constituait un état dans l’état au sein d’un puissant Parti socialiste. Julien Dray, Marie-Noëlle Lienemann, François Lamy, Manuel Valls et le sénateur Mélenchon s’y entraînaient à l’exercice du pouvoir.

Mélenchon, le plus lettré et plus brillant orateur, invité dans le bureau de François Mitterrand, était adulé. Plus de trente années après, Jérôme Guedj, qui n’avait pas demandé l’interdiction de la conférence de son ancien mentor à l’université de Lille, mais s’était interrogé sur la forme d’un logo pro-palestinien sur les tracts annonçant la réunion, s’est vu injustement traîné dans la boue par celui qu’il adulait jadis.

Alors que le président de l’université interdit la conférence, Jean-Luc Mélenchon accuse Guedj d’en être responsable et le qualifie d’être « un lâche de cette variété humaine que l’on connaît tous, les délateurs, ceux qui aiment aller susurrer à l’oreille du maître »« Il est allé trop loin », se désole un conseiller insoumis, relayant un constat que personne en interne ne se risque à formuler.

Jean-Luc Mélenchon joue « all in »

Dans cette campagne, Jean-Luc Mélenchon joue « all in », comme on dit au poker. Tapis ! Ce sera la chienlit ou la guillotine. Car s’il ne parvient pas à mobiliser large sur la cause palestinienne amplifiée par la soif de revanche d’une partie des Français, ses opposants internes, au lendemain du scrutin, le défieront publiquement. Clémentine Autain et François Ruffin s’y préparent, Raquel Garrido et Alexis Corbière suivront. Côté socialiste, Olivier Faure, qui a soumis son parti à Mélenchon, aura du mal cette fois à s’en tirer. Certains barons socialistes confient au JDD qu’ils dégaineront dès le lendemain du 9 juin. Jean-Luc Mélenchon, plus que quiconque, a pleinement conscience que ces européennes sont une nouvelle fois un moment où se joue son destin politique, et donc dans sa symbolique, sa place dans l’Histoire.

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