Charlotte d’Ornellas : les révélations explosives de l’affaire Amra

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CHRONIQUE. Les écoutes de la cellule de Mohamed Amra dévoilent un monde où la criminalité prospère sans entrave derrière les barreaux. Entre trafic, impunité et organisation professionnelle, ces révélations soulèvent des questions cruciales sur l’état de nos prisons et la sécurité publique.

Charlotte d’Ornellas. 24/05/2024 LE JDD

Mohamed Amra, 30 ans, est toujours recherché.
Mohamed Amra, 30 ans, est toujours recherché. © DR

Ces enquêtes sont antérieures au drame du péage et étaient donc connues. La question qui se pose immédiatement est la suivante : est-ce si fréquent que cela passe sous les radars, ou notre faiblesse est-elle pire que ce que nous imaginions ? Dans les deux cas, nous avons raison d’être inquiets, sans être surpris.

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  1. Mohamed Amra obtient ce qu’il veut en prison : Combien de rapports ont souligné ce problème, combien d’agents ont évoqué les jets de colis, les parloirs, la clémence des sanctions, et les prisons échappant à la surveillance à cause de la surpopulation ? On parle ici de la prison de la Santé : un collectif de riverains s’est justement plaint des jets de colis (entre autres) depuis la rénovation de 2019 jusqu’à cette année.
  2. Il multiplie les activités illégales depuis sa cellule : Combien d’alertes sur ce sujet ? La dernière en date, à Marseille, émane de magistrats réclamant de toute urgence des prisons imperméables et des établissements spéciaux pour ces trafiquants. Un chiffre : en 2023, 50 000 téléphones et accessoires saisis pour 75 000 détenus.
  3. Il bénéficie d’un réseau servile ou terrorisé : L’ancienne préfète de Marseille avait donné une interview où elle affirmait, par exemple, que des enfants appelaient eux-mêmes la police par peur de leurs supérieurs. Combien de jeunes sont visés sur les points de deal, combien de rapports témoignent du rajeunissement des recrues corvéables à merci, piégées par ces criminels sans limites ?
  4. On découvre des moyens et une organisation professionnels : Combien de policiers ont dénoncé une procédure pénale qui les paralyse pendant que les trafiquants s’espionnent, usent de détournements pour communiquer, balisent la voiture du voisin, filment à leur insu, achètent qui ils veulent ?
  5. Une impunité au-delà de l’imaginable, sans peur de rien ni personne : Mais qui peut se dire réellement surpris ? Ces individus sont toujours perçus comme des victimes de la société. 19 délits commis entre 11 et 14 ans, classés sans suite. Résultat : il gère son trafic de drogue et d’armes en visio depuis sa cellule, sans peur de rien ni personne. Et qui est intervenu ? Personne.

Que conclure de ces informations qui dépassent l’entendement et font voler en éclats le profil du petit délinquant moyennement impliqué et donc pas forcément très dangereux ? Que tous les professionnels ont de sérieuses raisons d’être en colère. Au niveau des autorités de l’État, la dangerosité était connue. Au niveau médiatique, il est peut-être temps de manier avec prudence les déclarations des avocats seuls ou de la mère d’un tel personnage (sincère ou non, peu importe).

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Ce fait divers dessine avec une issue dramatique ce qu’est devenu très concrètement le crime organisé. Les réactions politiques et médiatiques ont été diverses : ignorance, indifférence, dénonciation, méfiance. Ces professionnels étaient nettement moins bien accueillis que les rapports du défenseur des droits prônant le renforcement de l’état de droit comme une immense entreprise de protection de la défense.

Il semble y avoir une prise de conscience politique sur le sujet de la drogue. Vous annonciez hier des changements dans la prison, n’est-ce pas une réalité, même tardive ? Il est difficile de répondre non, mais dans les faits, il est encore plus difficile d’être certain que cette « prise de conscience » n’est pas un rattrapage de communication quand la réalité devient impossible à cacher plutôt qu’un réveil traduit en acte.

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Même sur le terrain de la prise de conscience, je doute, en particulier du côté du ministère de la Justice. L’État de droit est interrogé sur le déséquilibre des droits de la défense. Rappelez-vous du projet de loi en novembre dernier, qui permettait au gardé à vue d’appeler qui il voulait pour se conformer à l’UE. Policiers et parquets décrivent une procédure d’une complexité surréaliste qui empire. L’étude d’impact accompagnant le projet précédent indiquait clairement que cette mise à jour augmenterait la charge administrative et procédurale des services enquêteurs.

Les enquêteurs s’inquiètent de la réforme PJ, qui fragilise la lutte contre ces réseaux. Elle est mise en place, mais pendant l’opération XXL, le ministre de l’Intérieur affirme que les résultats sont meilleurs quand la judiciarisation est préalable. Les surveillants décrivent un travail rendu impossible. On en est encore à installer des brouilleurs. Les magistrats sortent du silence pour alerter, mais le garde des sceaux les rabroue.

Deux hommes sont morts, trois autres sont blessés. Des femmes sont veuves, des enfants orphelins. Et Mohamed Amra offre pourtant une illustration peaufinée de la pertinence de leurs appels au secours.

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