Droite marginalisée et gauche surexposée : révélations sur le manque de pluralisme dans l’audiovisuel public. A LIRE…

Par Judith Waintraub, pour Le Figaro Magazine

24 mai 2024

EXCLUSIF Le rapport de l’institut libéral Thomas More, que Le Figaro Magazine s’est procuré, démontre pour la première fois, chiffres à l’appui, que l’audiovisuel public déroge à ses obligations légales d’impartialité et de pluralisme.

Du 19 au 23 février 2024, l’institut libéral Thomas More a passé au crible 587 intervenants dans les programmes de trois chaînes et trois stations du service public : France 2, France 5, France Info TV, France Info Radio, France Culture et France Inter. Il les a classés selon leur sensibilité politique, soit qu’ils représentaient un parti, soit par les idées qu’ils exprimaient. Le résultat est édifiant : 50 % des intervenants n’affichaient pas d’orientation idéologique décelable, mais sur les 50 % restants, la moitié entrait dans la catégorie « gauches », 21 % étaient de sensibilité macroniste et 4 % seulement tenaient un discours pouvant être considéré comme de droite.

L’institut libéral Thomas More a passé au crible 587 intervenants dans les programmes de trois chaînes et trois stations du service public : France 2, France 5, France Info TV, France Info Radio, France Culture et France Inter. Le Figaro Magazine.

L’idée de cette entreprise herculéenne, à laquelle personne ne s’était encore attelé, est partie de la décision du Conseil d’État d’obliger l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à étendre son contrôle du pluralisme à la totalité des participants à l’ensemble des émissions de télé et de radio. La plus haute juridiction administrative donnait ainsi à Reporters sans frontières la victoire que l’Arcom lui avait refusée dans sa guerre contre CNews. Élus ou représentants de partis politiques, bien sûr, mais aussi journalistes, chroniqueurs et même acteurs de la société civile, tout le monde dans des cases !

Chiche ! a répondu l’Institut Thomas More. Son directeur général, Jean-Thomas Lesueur, est « résolument opposé au fichage » mais il estime que si cette conception « inquisitoriale » du pluralisme s’imposait, « elle devrait s’appliquer en premier lieu au service public, financé par le contribuable et soumis à une obligation d’impartialité ». Il a donc décidé de relever le défi avec Aymeric de Lamotte, directeur général adjoint de l’institut, et une demi-douzaine de collaborateurs. Leur rapport est le résultat de deux mois et demi de travail. Ses auteurs ont consacré un temps considérable à définir des critères de classement.

Protestations

Compter les temps de parole des politiques, comme le fait l’Arcom, pose peu de problèmes quand il s’agit de représentants de partis, d’élus ou de candidats. Étendre ce recensement à des retraités de la politique active est déjà plus compliqué, comme le montrent les protestations de Roselyne Bachelot, invitée récurrente de BFMTV, ou encore de Philippe de Villiers, présent chaque semaine sur CNews dans une émission qui porte son nom, quand le gendarme de l’audiovisuel a décidé de déduire leurs interventions du temps de parole attribué à la catégorie « divers droite ».

Classer des non-politiques et leurs opinions relève parfois du casse-tête.« Personne ne conteste sérieusement que l’audiovisuel public baigne dans une “idéologie d’ambiance”, pas même leurs dirigeantes », affirme Jean-Thomas Lesueur, en citant deux déclarations marquantes : Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, expliquant à des députés qui l’auditionnaient en juillet dernier « on ne représente pas la France telle qu’elle est (…) mais telle qu’on voudrait qu’elle soit » et Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, revendiquant d’être « une radio progressiste » dans un entretien au Figaro du 28 mars 2024. « Cette manière de voir le monde, cette musique ne sont pas faciles à caractériser, reconnaît Jean-Thomas Lesueur. Nous nous sommes efforcés d’être les plus objectifs possible ».

Les auteurs du rapport ont étudié les six médias un par un. France Culture est celui qui accorde le moins de place aux idées et opinions de droite, auxquelles peuvent être rattachés 1 % des intervenants. France 2 arrive juste derrière avec un minuscule 3 %. France Info télé comme radio apparaissent comme les médias les plus « pluralistes » de la sélection de l’Institut Thomas More, avec un glorieux 8 % !

Les auteurs du rapport ont étudié les six médias un par un. Le Figaro Magazine

C’est sur France Inter que les gauches profitent de l’exposition la plus large. Les experts du think tank ont mis en regard les résultats des courants politiques aux dernières législatives et le temps de parole que leur accorde la radio. « Si le centre (majorité présidentielle) et la droite sont convenablement représentés, explique Aymeric de Lamotte, les gauches bénéficient d’une audience nettement supérieure à leur poids électoral (+ 50 %) alors que la droite radicale connaît une sous-représentation considérable (- 58 %). » Jean-Thomas Lesueur juge « assez ironique qu’Adèle Van Reeth ait mis à pied Guillaume Meurice alors que finalement, c’est lui qui a le mieux résumé l’absence de pluralisme de l’antenne quand il a dit : “On équilibre. On essaye de faire une vanne de gauche, une vanne d’extrême gauche, une vanne d’ultragauche, pour vraiment avoir tout le panel du spectre politique.” »

Les gauches systématiquement surreprésentées

L’institut a élargi la comparaison temps de parole/résultats aux législatives à la totalité du quatrième trimestre 2023 sur quatre chaînes publiques : France 2, France 3 nationale, France 5 et France Info TV. Il en ressort que l’ensemble des gauches est systématiquement surreprésenté par rapport à son point électoral, de façon limitée sur France 5 (+ 8 %) et de manière significative sur France 3 (+ 17,5 %). Il en va de même pour la majorité présidentielle : si France 2 est à l’étiage parfait, France 5 (+ 15 %) et France 3 (+ 33,3 %) sont significativement au-dessus. La situation est plus contrastée pour la droite : si France 3 est en dessous (- 12 %), France 5 (+ 35 %) et France Info TV (28 %) sont nettement au-dessus. Les représentants de la droite radicale sont en revanche sous-représentés sur les quatre chaînes : – 50 % sur France 3, – 42 % sur France 5, – 33,5 % sur France Info TV et – 21 % sur France 2.

L’émission de divertissement de Charline Vanhoenacker, « Le Grand Dimanche soir », où officiait l’humoriste, n’est pas la seule à réserver un traitement de défaveur aux représentants des droites. Le 19 février, dans « Le 7/10 » de France Inter, le journaliste Yaël Goosz analyse les conséquences de l’arrivée de Fabrice Leggeri, ancien patron de Frontex, sur la liste du RN pour les européennes en précisant que cette troisième place avait été confiée il y a cinq ans à « l’ancien sarkozyste, allié de Poutine, Thierry Mariani ».

«Arc républicain»

Le 20 février, la tête de liste Les Républicains François-Xavier Bellamy est l’invité de Sonia Devillers à 7 h 50 sur France Inter. « Durant l’entretien, l’animatrice est d’une relative neutralité, reconnaissent les auteurs du rapport, bien qu’elle tente à trois reprises de savoir si le député européen sortant LR a voté ou non pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022 et de faire un lien entre ses idées et celles de “l’extrême droite”, alors que celui-ci a précisé qu’il avait été aussi approché par des élus du camp d’Emmanuel Macron. »« Comment est-ce que vous expliquez que l’extrême droite française vous juge naturellement des siens ? » lui demande-t-elle, en lui rappelant « Marion Maréchal-Le Pen et Jordan Bardella pensent que vous auriez votre place dans leur liste » et en le sommant de réagir.

« Les Informés » de France Info du 19 février consacrent l’un de leurs débats à une déclaration d’Emmanuel Macron qui exclut le RN de « l’arc républicain ». Quatre participants – sur quatre ! – donnent raison au président de la République – qui changera d’ailleurs d’avis quelque temps plus tard. Le 20 février, « C ce soir », sur France 5, organise un débat sur l’invitation de Marine Le Pen à la panthéonisation de Manouchian. Sur cinq invités, un seul l’approuve.

Les biais idéologiques du service public transparaissent également dans les angles sous lesquels il traite les sujets d’actualité. La période témoin retenue pour le rapport a été marquée par l’annonce par le président de la République du projet de loi sur « l’aide à mourir » , le 10 mars. Tous les sondages indiquent qu’une majorité écrasante de Français approuve le recours à l’euthanasie et au suicide assisté pour les personnes souffrant de maladies insupportables et incurables, mais les professionnels de santé sont très divisés sur le détail du texte transmis à l’Assemblée nationale. L’analyse des interventions sur le sujet du 11 au 15 mars, sur les trois radios et les trois émissions de télé sélectionnées (France Info Radio, France Inter, France Culture, les journaux télévisés de 13 heures et 20 heures de France 2 et les émissions « C à vous » et « C dans l’air » sur France 5), montre un net déséquilibre en faveur des partisans du projet présidentiel.

L’analyse des interventions sur le projet de loi «Fin de vie» du 11 au 15 mars, sur les trois radios et les trois émissions de télé sélectionnées (France Info Radio, France Inter, France Culture, les journaux télévisés de 13 heures et 20 heures de France 2 et les émissions « C à vous » et « C dans l’air » sur France 5). Le Figaro Magazine

L’Institut Thomas More consacre l’une de ses études de cas au magazine hebdomadaire de France 2 « Complément d’enquête ». Ses équipes en ont analysé les 86 éditions diffusées ces trois dernières années : 37 % d’entre elles reflètent un positionnement idéologique de gauche et 0 % de droite ! Là encore, les exemples foisonnent, comme cette émission du 2 décembre 2021 dont le titre annonce la couleur : « Police municipale : les nouveaux mercenaires ? ». Ou, encore, celle du 7 septembre 2023 : « Histoire, argent, pouvoir : les vrais secrets du Puy du Fou »« Le capitalisme, les entrepreneurs, les grandes fortunes, qui sont des sujets de prédilection de l’émission, ne sont généralement pas présentés sous un jour favorable », écrivent les auteurs du rapport, en soulignant aussi l’absence d’équité du traitement des personnalités publiques dans« Complément d’enquête ».

L’analyse des interventions sur le projet de loi «Fin de vie» du 11 au 15 mars, sur les trois radios et les trois émissions de télé sélectionnées (France Info Radio, France Inter, France Culture, les journaux télévisés de 13 heures et 20 heures de France 2 et les émissions « C à vous » et « C dans l’air » sur France 5). Le Figaro Magazine

Éloge de la «diversité»

Le multiculturalisme arrive en tête des thématiques privilégiées par le service public. France Télévisions comme Radio France se sont dotées de chartes par lesquelles elles s’engagent à promouvoir la « diversité ». Du 19 au 23 février 2024, les six télés et radios étudiées en ont traité à 12 reprises, en la présentant à chaque fois comme une chance pour le pays d’accueil et une condition pour le développement d’une société plus harmonieuse. « La fierté de sa culture ou de ses racines est considérée avec scepticisme quand ladite culture est française, mais au contraire fortement valorisée quand celle-ci est étrangère », écrit l’institut. Le ton habituel employé est bien illustré par l’introduction de l’émission « À voix nue » de France Culture du 23 février, consacrée à la danseuse et chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny : « De Fagaala sur le génocide des Tutsis au Rwanda à Songook Yaakaar, conçu comme une réponse au discours de Dakar du président Nicolas Sarkozy, en passant par Les Écailles de la mémoire, le travail de Germaine Acogny est un travail fondamentalement politique qui porte sur le colonialisme, l’esclavage, la place des femmes, le capitalisme, les migrations », peut-on entendre.

La crise agricole battait son plein pendant la période témoin retenue par le think tank. Il a donc pu analyser de multiples débats, entretiens, chroniques et reportages sur les questions qu’elle soulevait. Là encore, le biais idéologique des six télés et radios étudiées est frappant ; 66 % des intervenants y ont développé des opinions qui relevaient d’une conception décroissante de l’écologie et le monde paysan a peu ou pas eu voix au chapitre. « Traiter de l’agriculture sans faire parler les agriculteurs trahit aussi la volonté que le réel soit le moins présent possible », décrypte Jean-Thomas Lesueur.

Décisions rarissimes

Les prismes de l’audiovisuel public, quand ils sont trop voyants, peuvent donner lieu à des saisines de l’Arcom. Après la première sortie de Guillaume Meurice sur Netanyahou, qu’il a qualifié de « nazi sans prépuce », l’autorité a adressé une mise en garde à Radio France en jugeant que ce sketch avait « porté atteinte au bon exercice par Radio France de ses missions »« Les risques de répercussions sur la cohésion de notre société ne pouvaient être ignorés, tout particulièrement dans un contexte marqué par la recrudescence des actes à caractère antisémite »,a-t-elle ajouté. Ce qui n’a pas empêché Meurice de réitérer, ni les syndicats de le soutenir. Me Gilles-William Goldnadel, qui avait saisi l’Arcom au nom d’Avocats sans frontières, en janvier, pour s’émouvoir que France Inter relaie le nombre de morts à Gaza fourni par le Hamas sans préciser que sa source était l’organisation terroriste, a obtenu gain de cause. « L’Arcom a fermement demandé à la société Radio France de veiller, à l’avenir, à ce que la question du conflit israélo-palestinien, d’une sensibilité toute particulière, soit traitée sur ses antennes avec la plus grande rigueur », lui a répondu en avril Roch-Olivier Maistre, son président. En février, Patrick Cohen s’était vu reprocher par l’autorité de l’audiovisuel d’avoir manqué « aux exigences de mesure, de rigueur et d’honnêteté » du cahier des charges de France Télévisions dans l’un de ses éditoriaux de la quotidienne« C à vous », sur France 5, consacré à la mort du jeune Thomas à Crépol.

Décisions rarissimes et saluées comme telles. Globalement, alors que la fusion de France Télévisions et de Radio France au sein d’une même holding est programmée en janvier 2026, la question de la ligne éditoriale et du contenu des émissions n’est abordée par personne. Sauf par les syndicats, qui craignent tous que ce grand chambardement structurel porte atteinte à ce qu’ils considèrent comme la sacro-sainte liberté d’expression des salariés de l’audiovisuel public.

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