Ivan Rioufol: «Emmanuel Macron défié par le renouveau souverainiste»


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VoxVox Société Le Figaro. 1er octobre 2020.

CHRONIQUE – Le nouveau conservatisme national oblige à donner un contenu au renouveau des nations et des peuples. C’est cette direction que tente de suivre le président «réinventé».

Par Ivan Rioufol

Jusqu’où Emmanuel Macron osera-t-il aller pour «se réinventer»? Le 13 avril, prenant la mesure des bouleversements imposés par la crise sanitaire, le chef de l’État déclarait«Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies et sachons se réinventer, moi le premier.» Cependant, c’est le souverainisme, que le président «progressiste» se plaisait hier à mépriser, qui partout revient en force. Ce retour aux frontières, aux nations, aux enracinements est porté en réaction aux excès de la mondialisation et en réponse aux besoins de protections, exacerbés par la pandémie de Covid-19. Or ce basculement est celui que les populistes, bêtes noires de Macron, avaient promu. Son «monde de demain» restait celui d’hier. L’avenir qui se dessine tourne le dos aux ambitions présidentielles visant à «transformer profondément le pays». L’erreur d’analyse de Macron, souvent dénoncée ici, l’oblige au revirement conservateur. Un tête-à-queue est-il envisageable?À LIRE AUSSI : Comment Macron mène ses guerres secrètes

Il ne faut pas sous-estimer l’ardeur des nouveaux convertis. Le chef de l’État est de ceux-là quand il joue l’homme autoritaire croisant le fer, hors de France, avec le calife turc Erdogan, le Hezbollah iranisé du Liban ou le satrape soviétisé de Biélorussie. Se devine chez lui, à ces moments de tensions, le goût retrouvé des effets de sabre, des impertinences juvéniles, des attentions paternalistes. La mobilisation sans pareil de l’État et de son argent magique pour prendre en charge les millions de naufragés du Covid, vient aussi répondre, opportunément, à l’assistance d’un peuple en détresse. La «start-up nation» est déjà loin, dans cet univers étatisé. Quand Jean Castex assure, l’autre jeudi parlant du virus: «Mon seul objectif, c’est de vous protéger», le premier ministre complète la panoplie d’un État recentré sur son peuple. Objectif confirmé par Bruno Le Maire présentant, lundi, sa loi de finances«Nous n’abandonnerons jamais personne.»

L’inquiétude existentielle des Français ne se résoudra pas en achetant leur détresse

Reste à savoir si Macron, oublieux de ses convictions mondialistes, est prêt à s’aventurer plus avant sur des terres populistes décriées, en promouvant un souverainisme dans toutes ses conséquences. Rien n’est moins sûr. Dans un «conte politique» (1), l’historien Franck Ferrand fait revenir en sauveur de la France une Jeanne d’Arc contemporaine qui cite Marie-France Garaud (20 août 2015): «Pour être un État souverain, il faut disposer de quatre pouvoirs: battre monnaie, faire les lois, rendre la justice, décider de la paix et de la guerre (…) Nous n’avons plus, nous Français, aucun des quatre éléments de la souveraineté.» Le nouveau conservatisme national, qui est la pente appelée à s’affirmer, notamment aux États-Unis, oblige à donner un contenu au renouveau des nations et des peuples. C’est cette direction que tente de suivre le président «réinventé». Toutefois, il ferait une autre erreur en réduisant sa conversion à la seule consolidation de l’«État fort».

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L’inquiétude existentielle des Français ne se résoudra pas en achetant leur détresse. C’est pourtant cette politique que suit le gouvernement, quand il tente d’éviter, grâce à une pluie d’euros, le naufrage d’un pays trop longtemps immobilisé à cause d’un microbe. La planche à billets de la Banque centrale européenne inonde le pays d’un argent fictif qui risque d’arroser le sable. Comme le remarque François Langlet (2), qui alerte sur l’hyperdette et la crise économique à venir: «Depuis trente ans (…), l’argent prélevé avec les impôts les plus élevés de la planète ou presque, les nôtres, ne sert plus majoritairement ni à investir ni à entretenir les services publics. Il est redistribué à la population, massivement, sous la forme d’allocations innombrables.» Or, cet étatisme sans boussole produit des désastres à la chaîne. En dépit des milliards reçus, l’hôpital public, malade de la bureaucratie, redoute à nouveau une pénurie de lits. Quant à la contre-société, nourrie d’aides sociales, elle ne cesse de s’éloigner de la nation.

Derrière le séparatisme

Le retour de l’État régalien, première étape dans la reconstruction d’un souverainisme, restera une farce coûteuse si cette réhabilitation devait se réduire à des postures protectionnistes dissimulant des béances et des lâchetés. Ce n’est pas le libéralisme qui doit être l’adversaire, ni le populisme sonneur de tocsin. Ce vendredi, le chef de l’État devrait préciser sa réponse au séparatisme islamique, cette plaie qui infecte depuis trente ans la nation somnambule. Or un État souverain et sûr de lui ne devrait avoir aucune honte à affirmer, clairement, que la charia (loi islamique) et ceux qui s’en réclament sont indésirables dans une république laïque, sans avoir à craindre de «stigmatiser» des musulmans qui se définiraient d’abord par leur religion et sa visibilité. L’urgence est dans la protection des citoyens contre les salafistes et les Frères musulmans qui voudraient les voir soumis à Allah. «Dehors!» devrait, idéalement, leur dire Macron.

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L’urgence est également dans la mise à l’abri de la France d’une immigration de peuplement qui n’en finit pas de bousculer l’équilibre de sa civilisation et d’ajouter à l’insécurité. Cette année, le pays aura accueilli 165.000 demandeurs d’asile, qui se rajoutent aux cartes de séjour (255.000 en 2018). Le jeune Afghan qui, vendredi dernier, a grièvement blessé au couperet deux personnes à Paris pour se venger de la republication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdoavait été pris en charge il y a trois ans par l’aide sociale à l’enfance alors qu’il était un faux mineur. Quelque 40.000 mineurs isolés, inexpulsables selon les règles imposées par la Justice européenne, sont ainsi pris en charge par la collectivité. Apprenant son acte, son père a dit être «très fier» de son fils. Faut-il rappeler qu’un pays souverain est celui qui, au minimum, garde la maîtrise de ses frontières et de ses expulsions? La France culpabilisée en est loin.

Réveil à portée de main

En réalité, Macron s’est trop engagé dans la construction d’une Europe souveraine et supranationale pour admettre soudainement la prépondérance des nations. Le 23 septembre, la commissaire Ylva Johansson persistait à faire l’éloge de l’immigration, sans se soucier des réactions de la piétaille: «Nous avons besoin de ces gens, notre société vieillit.» Tant que la France ne se sera pas libérée de la tutelle européenne et de ses dogmes dépassés, elle ne retrouvera pas la maîtrise de ses décisions. Un réveil est à portée de main. Le terreau s’y prête. Qui, pour prendre le flambeau souverainiste?

(1) «L’Année de Jeanne», Plon.

(2) «Quoi qu’il en coût€!», Albin Michel.

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