CATALOGNE : UNE SOCIÉTÉ PLUS DIVISÉE QUE JAMAIS

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Quel futur pour la Catalogne après le scrutin du 14 février qui aura accouché d’une société plus divisée que jamais ? Deux blocs se font face : les indépendantistes et les anti-indépendantistes. Si la pandémie était dans tous les esprits, les fractures politiques restent profondes et irréconciliables. Reportage à Barcelone.

Et comme par hasard, la Catalogne « indépendantiste » est également immigrationniste. En Espagne comme ailleurs, c’est la gauche déconstructrice urbaine et bobo qui est derrière le chaos. Artofus.

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© Les constitutionnalistes protestent contre le « coup d’état » des indépendantistes / Maël Pellan pour L’Incorrect

– « Bonjour madame, nous sommes journalistes et nous venons couvrir les élections de demain en Catalogne. Que pensez-vous de ce scrutin ? »

– « Alors déjà moi, je ne suis pas espagnole, je suis catalane et je voterai pour ERC ! (la gauche Indépendantiste, ndlr) »

Opinions tranchées

Le ton est donné. Nous avons rassemblé le peu de catalan que nous connaissions pour interroger cette dame âgée promenant son chien dans le centre d’un Barcelone désert. Juste avant, une jeune femme nous précisait qu’elle était italienne et n’avait pas le droit de voter. « Je vis depuis plusieurs années en Catalogne. Dans mon milieu, les jeunes sont plutôt contre l’indépendance, ils sont ouverts sur le monde vous comprenez ? » Et la jeune femme de préciser que les gens sont surtout lassés du confinement, du covid et des commerces fermés. « Regardez Barcelone, la Rambla, c’est vraiment triste ! ».

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Plus loin, nous questionnons un couple pour savoir en quelle langue ils s’expriment. « En espagnol ! » nous répond l’homme à peine surpris et qui s’empresse de préciser qu’il connait aussi le catalan. Celui-ci se présente immédiatement comme « constitutionnaliste », c’est-à-dire partisan du maintien de la Catalogne au sein de l’Espagne. Et là aussi les opinions sont très tranchées et affichées. Sur les convictions des jeunes, le vingtenaire nous apporte une réponse contraire à la ressortissante italienne ! Selon lui, les jeunes sont plutôt favorables à l’indépendance car ils sont travaillés en profondeur par les partis de gauche. Sa compagne, originaire d’une autre région d’Espagne, regrette la place croissante du catalan dans la société locale : « Parfois, je ne comprends même pas les documents que la mairie de Barcelone ou la Generalitat (le gouvernement autonome, ndlr) m’envoient ! »

Catalanisation de la société

En arrivant dans la ville, cette place omniprésente du catalan est ce que l’on remarque en premier. Le castillan devient une langue minoritaire ! Dans les commerces, sur les enseignes, sur les publicités, tout est en catalan. Le double affichage est loin d’être systématique. Et les commerçants vous entretiennent majoritairement dans la langue de Pompeu Fabra.

« Le processus d’indépendance. La grosse merde » © Maël Pellan

Il est vrai que depuis 2005, ceux-ci ont l’obligation d’accueillir leurs clients en catalan sous peine d’amende. Mais ont-ils vraiment besoin d’être incités ? « Je suis indépendantiste ! » nous répond tout de go une marchande de journaux – l’un des rares commerces ouverts. « Mais franchement, les gens en ont marre des mesures anti-covid et concernant le processus d’indépendance, les partis nationalistes n’arrivent toujours pas à s’entendre. Ils nous emmerdent ! »

Un vote ouvrier espagnoliste, mais…

Quid du poids réel des indépendantistes dans la société catalane ? Pedro, qui travaille comme prestataire pour l’assemblée régionale, nous éclaire le soir du vote à l’aide d’une carte des « comarques » (sorte de communautés de communes) : « C’est simple : le nord et l’est de la province, en tout 23 comarques de la Catalogne rurale, votent pour Junts (le parti indépendantiste de centre-droit du président en exil Carles Puigdemont, ndlr), l’Est et le sud, 11 comarques, votent ERC (la gauche indépendantiste au pouvoir à la Generalitat, ndlr ), et la grande banlieue ouvrière de Barcelone où vivent les Espagnols, Andalous notamment, et les immigrés extra-européens, vote PSC (branche locale du PSOE espagnoliste, ndlr) comme 6 autres comarques littoraux jusqu’à Taragone, plus le Val d’Aran occitan mais qui ne représente que 9 000 personnes. »

Les zones ouvrières urbaines votent plutôt espagnolistes, c’est-à-dire PSC. Les villes intermédiaires, la classe moyenne et surtout la Catalogne rurale votent eux massivement pour les indépendantistes

Mais comment le PSC arrive-t-il en tête à l’issue de cette élection s’il ne gagne que dans 8 comarques sur 42 ?  « Le poids de Barcelone est énorme avec plus de deux millions de votants suivi des Vallès Occidental avec 800 000 habitants où le PSC fait plus de 25%. C’est une zone très industrialisée notamment au sud. Il y a beaucoup d’immigrants espagnols, or ces derniers ne votent pas nationalistes. » S’ensuit une cartographie des votes en Catalogne très marquée socialement : « Les zones ouvrières urbaines votent plutôt espagnolistes, c’est-à-dire PSC. Les villes intermédiaires, la classe moyenne et surtout la Catalogne rurale votent eux massivement pour les indépendantistes. » Gagner des bastions dans les zones populaires, c’est la mission de ERC qui a fait une campagne « aux côtés des gens » (son slogan pour cette élection). Les gauchistes de la CUP, quant à eux, continuent de séduire les catégories sociales les plus diplômées : étudiants, universitaires de la gauche sociétale… comme en France !

Bataille des affiches et drapeaux

Reste Vox, le parti protestataire anti-immigration et anti-indépendantiste classé à l’extrême-droite. Celui-ci a fait une percée ce dimanche. Nous arrivons devant un bureau de vote. À l’intérieur, une militante, carte Vox autour du cou, discute avec un membre du PP. Tous les deux sont assesseurs. Ces deux cartes seront les seuls symboles des deux formations de droite que nous avons vus dans la ville. La publicité électorale est partout dans Barcelone et même le nom des très anti-indépendantistes Ciutadanos est en catalan sur leurs affiches (« Ciutadans »).

Immeuble avec sociétés d’assurance et la Fedération de football. Sa façade est couverte de rubans jaunes en soutien aux prisonniers politiques. © Maël Pellan

Mais si le PSC et Ciutadanos peuvent apposer des affiches sur tous les axes (très en hauteur tout de même), le PP et Vox sont interdits d’affichage par les indépendantistes qui sont surreprésentés partout, notamment ERC. Même chose pour les drapeaux aux balcons : la ville de Barcelone est couverte de drapeaux catalans, de slogans pour les « prisonniers politiques » et des fameux rubans jaunes en soutien à ces derniers, alors que nous n’aurons vu en tout et pour tout que quatre drapeaux espagnols.

Ce soir d’élection, Vox aura fait cependant une percée inédite avec l’entrée de 11 députés au parlement catalan. Pour une formation qui rêve d’interdire le séparatisme catalan en tant qu’opinion et de mettre les indépendantistes en prison, la performance est remarquable !

Vox le parti des…. stations balnéaires !

Dans un contexte européen de montée de l’exaspération envers l’immigration, le fait que Vox soit loin derrière le Rassemblement National ou la Lega s’explique par une évidence : dans le centre de Barcelone, il n’y a pas d’immigrés extra-européens ou très peu. Pas de voiles, pas de barbes. Barcelone est blanc. À peine y croise-t-on des asiatiques et des représentants du sous-continent indien qui tiennent toutes les épiceries de quartier. En banlieue, on rencontre bien des ressortissants africains et arabes mais ceux-ci sont minoritaires face aux latinos-américains. Peu d’immigrés notamment musulmans = peu de protestation anti-immigration.

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La donne est cependant en train de changer, Vox fait ses meilleurs scores dans les beaux quartiers barcelonais et surtout dans les stations balnéaires du sud, autour de Taragone, qui prend la crise de plein fouet. Hôtels fermés et fortes communautés d’immigrés venues travailler dans le secteur du bâtiment : le choc est violent ! Et puis la formation anti-immigration séduit principalement d’autres immigrés, à savoir les Andalous venus travailler dans la puissante économie catalane. Fortement favorables à l’Espagne, ils ne se projettent absolument pas dans une Catalogne indépendante. Surtout, Vox est en pleine phase de siphonnage des voix de droite espagnoliste : Ciutadanos perd 30 députés lors de cette élection alors que le PP se partisocialise avec seulement trois députés. Le bloc « constitutionnaliste » pourrait, dans l’avenir, s’articuler autour du PSC (mous) et de Vox (durs).

Nuits d’émeutes pour un rappeur

Alors que nous quittons la Catalogne, le rappeur catalan Pablo Hasél vient d’être arrêté. Non pas pour des affaires de drogue ou d’appels au meurtre des blancs comme ses homologues « français » mais pour « insulte au roi » (et aux Bourbons en général), « apologie du terrorisme » (en l’occurrence celui d’ETA et des GRAPOS d’extrême gauche) et appel au meurtre de policiers. Comme Valtònyc, un autre rappeur qui vit en exil en Belgique depuis 2018, Hasél devient un symbole pour les jeunes catalans d’extrême-gauche qui prennent fait et cause pour le personnage, sur fond de haine de la Guardia Civil responsable des violences du référendum de 2017 et considérée comme la « police espagnole ». Pourtant, Pablo Hasél a été arrêté par les Mossos d’Esquedra, la police autonome ! Cette arrestation conduira à plusieurs nuits d’émeutes sans précédent en Catalogne. Comme un symbole d’une société catalane qui se divise en profondeur.

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