Dans les familles musulmanes, le grand tabou de l’apostasie

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DÉCRYPTAGE – En France, contrairement aux pays où s’applique la charia, les représentants du culte musulman affirment ne pas criminaliser l’apostasie.

Pourtant d’après un rapport, de très nombreux musulmans convertis subissent l’ostracisme de leurs proches, voire des agressions physiques.

Par Paul Sugy , LE FIGARO , 30 mars 2021

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«Les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier d’apostasie, encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, d’attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion.» Parmi les grands principes du projet de charte rédigé par le Conseil français du culte musulman, c’est en particulier l’acceptation de l’apostasie qui a soulevé l’hostilité de plusieurs associations représentatives des musulmans en France.

Ainsi quatre d’entre elles, sur les neuf qui composent le CFCM, ont refusé de signer la charte en estimant notamment que «certains passages et formulations du texte soumis sont de nature à fragiliser les liens de confiance entre les musulmans de France et la Nation».

Sur la question en particulier de la liberté de croyance, que Jean-Pierre Chevènement avait déjà échoué à faire reconnaître aux autorités musulmanes en 1999, les associations réfractaires ont expliqué dans un communiqué commun leur réserve en arguant de l’imprécision du texte au sujet de l’apostasie. «Il n’existe aucune procédure officielle d’excommunication dans la religion islamique» expliquent-elles.

« Une écrasante majorité de personnes quittant l’islam pour rejoindre le christianisme subit une persécution familiale et communautaire » Centre européen pour le droit et la justice

En clair, d’après ces associations, si des pays musulmans peuvent appliquer en d’autres endroits du monde une législation fondée sur la charia et donc punir clairement l’apostasie dans leur Code pénal (de peines allant de la prison à l’exécution pure et simple, comme encore dans au moins dix pays, l’Afghanistan, Arabie Saoudite, Brunei, Émirats arabes unis, Iran, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Qatar, Yémen), en revanche les musulmans des autres pays dont la France sont libres de croire ou de ne pas croire, comme bon leur semble. Et la simple mention de ce point dans la charte est donc considérée comme insultante, au point de provoquer la colère de plusieurs représentants de la foi musulmane.

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Pourtant, dans les faits, l’apostasie reste très peu acceptée dans les communautés musulmanes en France, souligne un rapport du Centre européen pour le droit et la justice dirigé par Grégor Puppinck. L’organisation a collecté de nombreux témoignages d’anciens musulmans, pour la plupart convertis au christianisme, et pour qui l’abandon de la foi musulmane a été un véritable calvaire.

«Une écrasante majorité de personnes quittant l’islam pour rejoindre le christianisme subit une persécution familiale et communautaire dont l’intensité varie grandement, du mépris à la violence» décrit le rapport, évoquant d’abord et surtout une persécution intra-familiale, des phénomènes de bannissement social, d’exclusion pure et simple de la communauté entraînant parfois la mise à la rue et la perte d’un emploi dans les quartiers où le communautarisme est exacerbé.

Une charia officieuse

Parmi les témoignages collectés, certains ex-musulmans racontent avoir subi en outre des humiliations publiques, des crachats, parfois des coups, souvent des menaces ou des intimidations. Certains ont été surpris dans des guets-apens en pleine rue.

La persécution est souvent renforcée par les réseaux sociaux, qui permettent de continuer d’exercer des pressions ou des menaces à distance, même lorsque l’apostat a coupé les ponts avec sa famille : «certains musulmans radicaux mettent à prix les coordonnées des convertis. Ce genre d’appel à dénonciation maintient lourdement la peur chez les convertis. Non seulement cela signifie qu’ils doivent rester discrets, quand bien même ils vivraient déjà loin de leur famille car n’importe qui pourrait les repérer et les dénoncer ; mais en plus, ils doivent prendre leur distance avec les réseaux sociaux, ou du moins être très prudents.»

Entre le droit et les faits, il y aurait donc un décalage immense – et extrêmement tabou. C’est du moins l’avis de Yassine Mansour, doctorant en droit à l’Université d’Aix-Marseille qui effectue une thèse sur le droit musulman, entre la théorie et la pratique.

Lui-même converti au christianisme, il explique au Figaro : «Aucun responsable religieux ne reconnaîtra l’existence de ces persécutions car elles correspondent surtout à une pression sociale, communautaire, qui dépasse en réalité la religion et qui touche à l’honneur ou à la vie intra-familiale. Si la charia n’existe pas en droit français, en revanche les quartiers où les musulmans vivent entre eux de façon concentrée recréent parfois une forme de charia officieuse, souterraine. Je le vois par exemple avec le ramadan : discrètement, certaines associations musulmanes enquêtent pour savoir qui le respecte ou non. La liberté religieuse n’est pas garantie de manière effective partout sur le sol français.»

« Une fille que je connais a été enfermée par ses frères chez elle lorsque sa famille a appris qu’elle voulait se faire baptiser : ils lui ont interdit de sortir. »

Une réalité que ne connaît que trop bien l’acteur Mehdi Djaadi, membre de l’association «Mission Ismérie» qui recueille des musulmans convertis au christianisme et abandonnés par leur communauté d’origine. S’il préfère rester discret sur son histoire personnelle, Mehdi relate en revanche l’histoire de personnes accueillies par son association dans un spectacle intitulé «Coming out», et qui sera joué de nouveau à la rentrée de septembre.

«Une fille que je connais a été enfermée par ses frères chez elle lorsque sa famille a appris qu’elle voulait se faire baptiser : ils lui ont interdit de sortir, et ont expliqué à son employeur qu’elle était en arrêt de travail», raconte-t-il. «Selon moi, la majorité des musulmans qui quittent l’islam sont persécutés par leurs familles. Davantage par leurs frères ou leurs cousins d’ailleurs que par leurs parents, qui essaient plutôt de garder un lien. Et lorsqu’il s’agit de filles, c’est pire, parce que l’honneur de la famille est davantage en jeu. Autant il est moins grave de cesser de pratiquer, de boire du vin ou de ne plus faire ramadan, autant se faire baptiser ou se déclarer non-musulman est un crime à l’encontre de la communauté, de l’Oumma. Et ce sujet est un immense tabou chez les autorités musulmanes.»

Le Centre européen pour le droit et la justice ajoute en conclusion que l’apostasie doit être davantage prise en compte par le droit, d’une part car même si la charia ne s’applique pas en France, elle peut priver de leurs biens ou de leur héritage des personnes ayant la double nationalité avec un pays musulman.

Rappelant la place de la liberté religieuse dans les grandes déclarations des droits de l’homme dont la France est signataire, l’organisation appelle également le gouvernement à rappeler aux autorités musulmanes le droit français et à ne pas faire de concessions aux associations qui refusent les principes du projet de charte de l’islam.

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