«La protection de la santé, un objectif de valeur constitutionnelle qui n’a pas vocation à anéantir les autres libertés»

FIGAROVOX/TRIBUNE – L’avocat Thibault Mercier regrette que l’objectif de protection de la santé ait été outrancièrement cité pour attenter à d’autres libertés constitutionnelles.

Par Thibault Mercier Publié le 30/11/2020 LE FIGARO

Thibault Mercier est avocat président du Cercle Droit & Liberté.À découvrir


«En adoptant ces dispositions, le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.» C’est par ces mots que le Conseil Constitutionnel a confirmé le 11 mai 2020 la constitutionnalité de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire dont la possibilité pour le Gouvernement de confiner la population ou encore d’imposer l’isolement des malades.

L’argumentation des Sages n’a pas différé le 13 novembre dernier, s’agissant de la prorogation du deuxième état d’urgence sanitaire. Le Conseil d’État n’est pas en reste puisque lui aussi, selon les mots de son Vice-président, se fonde majoritairement sur «les notions de droit à la vie et de droit à la santé» pour valider docilement la grande majorité des décisions prises par le Gouvernement depuis le début de la crise sanitaire.

Liberté d’entreprendre, de manifester, de culte, droit au respect de sa vie privée, inutile d’aller plus loin pour se rendre compte que ce sont ainsi la plupart de nos libertés et droits fondamentaux qui se sont vus et se voient encore restreindre gravement et durablement par cet objectif constitutionnel de protection de la santé.

Exit donc le travail du juriste dont l’art consiste pourtant, depuis la Rome antique, à tendre vers une solution juste et équitable par la mise en balance de différents intérêts

Nombreux ont été les recours déposés par certains Français ces derniers mois contre des mesures législatives et réglementaires manifestement disproportionnées. Et l’on peut se demander si ce n’est un blanc-seing que tant le législateur que l’exécutif ont reçu de nos juridictions suprêmes puisque la quasi-totalité de ces requêtes ont été retoquées. Exit donc le travail du juriste dont l’art consiste pourtant, depuis la Rome antique, à tendre vers une solution juste et équitable par la mise en balance de différents intérêts sinon contradictoires, au moins divergents.

Le Digeste romain n’est malheureusement plus au programme des Universités de droit et depuis l’apparition de la Covid19 il n’est plus question pour le juge de faire preuve de mesure dans l’arbitrage entre nos différents droits et libertés. Et certains arrêts des juridictions administratives de ressembler d’ailleurs plus à des rapports scientifiques qu’à des décisions juridiques. La santé tend désormais à devenir une obligation juridique à remplir coûte que coûte soumettant notre droit à l’injonction scientifique d’une partie du corps médical et d’experts en tout genre.

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Mais pourquoi ce concept d’«objectif de valeur constitutionnelle», forgé initialement dans le but de tempérer les droits fondamentaux vient-il désormais les anéantir? Comment les juges ont-ils abandonné si facilement leur pouvoir de contrôle dans cette crise sanitaire?

Les collusions entre l’exécutif et le Conseil d’État dénoncés par le journaliste Yvan Stefanovitch sans ses «Petits arrangement entre amis» ne sont qu’une partie de la réponse. Plus encore que sanitaire ou institutionnelle, il semble bien que cette crise soit également sociétale voire civilisationnelle. Comment les hommes politiques, juges et citoyens ont-ils en effet pu oublier que la santé, selon la définition même de l’OMS, n’est pas que l’absence de maladie ou d’infirmité?

La sécurité du corps, son confort et sa préservation sont alors devenues des préoccupations majeures pour nos sociétés modernes

Faisant l’exégèse des poèmes homériques, Sylvain Tesson, lors d’«Un été avec Homère», nous interrogeait sur le sens de notre vie: faut-il «être un anonyme heureux ou un Achille aux Enfers?». Et de nous rappeler l’antique sagesse des Grecs qui acceptaient «l’idée que la vie est absurde» et qu’il existait «dans ce court intervalle entre le néant des origines et l’abîme de la destination, peu de temps pour un acte frappant, une bonne vie, une belle mort».

D’Aristote à Saint Thomas d’Aquin, la civilisation européenne s’est en effet obstinée à permettre le développement tant de l’âme que du corps. Peu importait alors la longueur de la vie tant que celle-ci était «bonne». Mais petit à petit s’est développée en Occident une biopolitique (Foucault) délaissant l’âme pour se tourner vers la conservation de la vie biologique et le bien-être matériel. La sécurité du corps, son confort et sa préservation sont alors devenues des préoccupations majeures pour nos sociétés modernes: l’obsession sécuritaire (dans les politiques de sécurité routière par exemple) ou l’hygiénisme contemporain en sont des exemples édifiants.

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Nous voudrions désormais éviter la mort à tout prix et plutôt que de laisser celle-ci surplomber l’horizon de nos existences, nous la laissons potentiellement se fondre dans toutes les actions de nos vies. La quasi-psychose qui s’est développée en Occident depuis l’apparition de ce nouveau virus à couronne nous l’a montrée: notre crainte de la mort est devenue telle qu’elle nous condamne désormais à l’obsession du risque zéro et à l’inaction.

L’acceptation docile par l’opinion publique, ou, pire encore, ses demandes insistantes de mesures toujours plus restrictives de nos libertés publiques proviendraient ainsi de notre désarroi devant la mort à laquelle nous sommes devenus incapables d’attribuer un sens. Nous refusons alors jusqu’à prendre le risque, même raisonnable, de vivre de peur d’attraper une maladie dont le taux de mortalité ne dépasse pas le pourcent.

Nous avons perdu cette disposition de l’âme qui consistait à s’adapter à l’inéluctable, même dans la souffrance, plutôt qu’à rêver à son impossible disparition

Ce que nous refusons d’ailleurs dans cette crise, c’est le côté tragique de la vie vue comme apprentissage de la mort. Nous avons perdu cette disposition de l’âme qui consistait à s’adapter à l’inéluctable, même dans la souffrance, plutôt qu’à rêver à son impossible disparition.

Perdu au milieu de l’océan et sans aucune perspective de salut nous nous rattachons alors à notre croyance , la dernière, dans la raison et la science censées permettre le salut de l’humanité, ce qui nous amène par exemple à donner les pleins pouvoirs au Conseil scientifique.

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On pourrait nous reprocher de disserter pendant que des gens meurent. Il semble au contraire urgent que les juristes de notre pays rouvrent tant leurs manuels de philosophie que de droit romain pour réapprendre que la politique et le droit nécessitent une juste et mesurée mise en balance de nos droits et libertés.

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