Michel Houellebecq et le droit de vieillir dans la dignité

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Par Vincent Trémolet de Villers LE FIGARO. 29 décembre 2021

ANALYSE – Outre le sujet de l’euthanasie qui plane sur son dernier roman, Anéantir, l’écrivain se fait le porte-voix des oubliés des Ehpad.

«Nous voulons retrouver cette morale étrange qui sanctifiait la vie jusqu’à sa dernière heure.» Ce vers de Michel Houellebecq éclaire de sa beauté le combat frontal que l’auteur d’Anéantir mène contre l’euthanasie. Le thème plane sur son dernier roman. Cela fait des années que ce sujet inspire à l’écrivain des prises de position d’une très grande force. Une tribune dans Le Monde après la mort de Vincent Lambert («il n’était même pas en fin de vie», déplorait-il), une autre, au mois d’avril dernier, dans Le Figaro, au moment où l’Assemblée débattait d’une proposition sur le suicide assisté. La colère de Houellebecq montait d’un cran puisqu’elle n’envisageait rien de moins que l’euthanasie d’une société qui légaliserait l’euthanasie: «Je vais, là, devoir être très explicite: lorsqu’un pays – une société, une civilisation – en vient à légaliser l’euthanasie, il perd à mes yeux tout droit au respect. Il devient dès lors non seulement légitime, mais souhaitable de le détruire ; afin qu’autre chose -un autre pays, une autre société, une autre civilisation – ait une chance d’advenir.»

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L’écrivain confie même qu’il ne prendra plus la parole sur un autre thème. Il avait déjà commencé, en 2010, dans La Carte et le Territoire, en dévoilant au lecteur les charmes glaçants de Dignitas, l’entreprise suisse qui proposait sur catalogue une mort douce et sereine. Locaux modernes et épurés au bord du lac de Zurich, remplis «par la quantité de cendres et d’ossements» déversée «dans les eaux». Houellebecq alors étendait le domaine de la lutte à «la valeur marchande de la souffrance et de la mort (…) supérieure à celle du plaisir et du sexe». Déjà le business tournait bien: «Une euthanasie était facturée en moyenne cinq mille euros, alors que la dose létale de pentobarbital de sodium revenait à vingt euros et une incinération bas de gamme sans doute pas bien davantage. Sur un marché en pleine expansion, où la Suisse était en situation de quasi-monopole, ils devaient, en effet,“se faire des couilles en or” .»

«Reste avec nous»

Dans Anéantir, le sujet de l’euthanasie n’est pas directement présent. Certes, la Belgique reste la pointe avancée de cette pratique et des groupes d’interventions y extraient, clandestinement, certains malades des hôpitaux, mais ce sont les mois et les jours d’avant la fin qui donnent à ce roman un tour bouleversant. L’Occident est grisonnant et s’avance inexorablement vers la mort. Est-ce une raison pour l’achever? La douceur qui, dans les précédents livres, perçait derrière la brutalité sexuelle, la laideur du monde, la mesquinerie des êtres apparaît désormais au grand jour. Anéantir est un roman de délicatesse. Celle qui, entre les douleurs et l’inquiétude de la mort qui s’approche, accompagne la vieillesse, la maladie. Les flux qui désorientent le monde sont supplantés par les attentions de détail que provoquent, quand ils sont aimés, ceux qui souffrent. Le corps s’amoindrit, l’horizon s’obscurcit, la vie n’est plus qu’un triste hôpital ; c’est pourtant l’occasion de retrouvailles avec soi-même, avec les autres.

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Une formule de la tribune du Figaro revient à l’esprit: «Et je me vois très bien demander à mourir juste dans l’espoir qu’on me réponde“Mais non, mais non, reste avec nous”». «Reste avec nous»: c’est ce que dit la famille du narrateur au père emmuré sur son fauteuil roulant. Le fils s’assied face à lui. Ils se regardent des heures durant sans autre conversation que leur présence. Silence plein, beauté mutique. «Reste avec nous», c’est ce que dit la femme par le soin qu’elle apporte à l’homme qu’elle aime et que le cancer ronge. «Reste avec nous», c’est ce que voudraient entendre les oubliés des Ehpad.

Comment prétendre aider les gens à mourir dans la dignité quand il leur est impossible – sauf si la famille les retire du système – de vieillir dans la dignité, de souffrir dans la dignité ?

Puisque personne ne les regarde, Houellebecq se fait leur porte-voix: «Il s’approcha de la civière: un très vieil homme au visage émacié, les mains jointes sur sa poitrine, respirait faiblement, il avait l’air à peu près mort, mais Paul eu l’impression d’entendre un léger râle. Près de l’entrée principale, un infirmier ou un brancardier, il n’arrivait pas à les distinguer, étaient enfoncés dans un fauteuil, les yeux rivés sur l’écran de son téléphone portable.“Vous avez vu, il y a quelqu’un…”, dit-il en se sentant complètement idiot.» Ou encore: « Les malades qui criaient de leurs chambres, qu’on vienne s’occuper d’eux.» Ou enfin:  «Elle devait nettoyer tout ça, la merde et les draps souillés et c’était désagréable, mais le pire de tout c’était leur regard implorant quand elle arrivait dans la chambre, et leur manière de lui dire “Vous êtes bien gentille, mademoiselle.” Chez elle, en Afrique, des choses comme ça ne se seraient pas produites, si c’était ça le progrès, ça ne valait pas la peine.» Comment prétendre aider les gens à mourir dans la dignité quand il leur est impossible – sauf si la famille les retire du système – de vieillir dans la dignité, de souffrir dans la dignité?

La crise sanitaire n’est pas évoquée dans Anéantir, mais la description des Ehpad semble profondément inspirée par ce qui restera comme la tache indélébile du printemps 2020: vieillards emprisonnés, agonie sans regards, dépouilles sans funérailles… Le deuil en distanciel, triomphe houellebecquien de Créon sur Antigone.

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