Par Alexandre Devecchio. LE FIGARO
Publié le 17/03/2023
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ENTRETIEN – Alors que le texte arrive le 28 mars au Sénat, le directeur de l’Ofii, Didier Leschi, a assuré que l’échec à l’examen de français ne sera pas synonyme d’expulsion pour les ressortissants étrangers. L’essayiste et ancien membre du Haut Conseil à l’intégration y voit un recul du gouvernement et critique plus largement un projet de loi qui accorde, selon elle, «une prime à l’illégalité» puisqu’il prévoit de créer un titre de séjour pour les étrangers en situation irrégulière.
Malika Sorel est l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués, dont «Décomposition française. Comment en est-on arrivé là?» (Fayard, 2015), qui a reçu le prix honneur et patrie de la Société des membres de la Légion d’honneur. Elle vient de publier «Les Dindons de la farce» (Albin Michel, février 2022, 224 p., 18,90 €).
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LE FIGARO. – Les ressortissants étrangers qui échoueront à l’examen de français que le gouvernement veut imposer dans le cadre de son projet de loi sur l’immigration ne seront pas expulsés, a assuré ce 13 mars le patron de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), Didier Leschi. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Malika SOREL. – Le gouvernement a reculé. Dans le texte transmis au Conseil d’État, il était question de subordonner l’octroi du titre de séjour à la réussite de l’examen de langue. Le niveau requis est très bas puisqu’il s’agit seulement de «comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes qui visent à satisfaire des besoins concrets».
Être issu d’une aire culturelle qui ne partage pas les fondamentaux des Occidentaux et se révéler dans l’incapacité d’assimiler ces rudiments de langue n’est pas de bon augure pour l’intégration culturelle. Eu égard à la situation préoccupante de la France, dont l’État a parfaite connaissance, il est plus sage que le migrant forme alors plutôt le projet de s’installer sur d’autres terres dont il partage le référentiel culturel, et où il lui sera de ce fait plus aisé d’identifier les limites à ne pas transgresser. Dans toute société, les règles qui permettent de vivre ensemble sont pour la plupart tacites. Elles ne figurent pas dans les lois et sont transmises de génération en génération au sein des familles.
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Le fait de parler ou non correctement le français préjuge-t-il de la bonne intégration des personnes immigrées?
Non, si le migrant est de culture occidentale, car les repères et les mœurs sont très voisins dans l’ensemble des pays occidentaux.
Il en va autrement pour les enfants de l’immigration extra-occidentale. Chaque jour nous en apporte la démonstration. Maîtriser la langue n’empêche pas une part croissante de ces enfants de refuser le respect de principes républicains qu’ils vont jusqu’à défier dans l’enceinte des établissements scolaires ; de placer leurs dogmes religieux au-dessus des lois de la République (Ifop) ; de rejeter des contenus d’enseignement. Tenaillés par la peur, 50 % des enseignants s’autocensurent. Pour ces enfants, l’intégration culturelle dépend de l’attitude adoptée par leurs parents et leur entourage, dès lors que des points d’incompatibilité se font jour entre le projet éducatif de l’école et leur référentiel culturel. Accompagnent-ils ou entravent-ils le travail des enseignants?
Ces enfants ont suivi plusieurs années d’enseignement moral et civique. Soyons sérieux, ce ne sont pas les quelques heures d’enseignement sur les valeurs du contrat d’accueil et d’intégration qui permettront aux nouveaux migrants de s’approprier ces fondamentaux.
La mise en avant de cet examen par le gouvernement n’est-elle alors qu’une opération de communication?
En vérité, ce projet de loi vise à régulariser les clandestins. Une prime est accordée à l’illégalité puisqu’un titre de séjour est créé pour les étrangers en situation irrégulière qui exercent dans un métier dit en tension, métiers parmi lesquels on trouve aide à domicile, agent d’entretien, serveur, ouvrier des travaux publics… Autant de métiers auxquels on pourrait former des chômeurs. Nul ne pose la vraie question: pourquoi, depuis des années, une partie des migrants déjà régularisés pour pourvoir ces postes se sont-ils évaporés? Parce qu’il devient parfois plus avantageux de ne pas travailler, ce qui pose un problème de justice sociale qui alimente les ressentiments. Pour Marcel Mauss, l’excès de générosité est aussi nuisible à l’individu et à la société que l’égoïsme de nos contemporains et l’individualisme de nos lois.
Un autre titre de séjour est envisagé qui aura pour effet de vider le Maghreb et l’Afrique de leurs talents. Ce pillage du Sud est moralement condamnable.Maîtriser la langue n’empêche pas une part croissante des enfants issus de l’immigration extra-occidentale de refuser le respect de principes républicains qu’ils vont jusqu’à défier dans l’enceinte des établissements scolaires
Quelles sont les conditions idéales pour que les nouveaux arrivants s’intègrent plus aisément à la société française?
Ces conditions ne sont plus réunies, car l’importance des flux migratoires a conduit à la reproduction des sociétés d’origine sur le sol français. Les communautés exercent une telle pression sur les personnes qu’il est difficile, parfois dangereux, d’y résister et de ne pas se soumettre.
Davantage que celle de l’intégration, la question prioritaire est-elle celle de la régulation et de la limitation des flux?
Absolument! En préalable, il faut reconnaître que la société a échoué à intégrer, et en tirer toutes les conséquences. Quelques exemples. Tant que le plus grand nombre ne s’est pas intégré culturellement, l’immigration issue des mêmes aires culturelles doit être limitée de manière drastique et tout regroupement familial soumis à conditions culturelles et financières strictes. Aux pays qui refusent de coopérer pour les OQTF, aucun visa ne doit être délivré. Frappé d’obsolescence, le code de la nationalité doit être réformé de sorte que l’administration n’ait d’autre choix que de faire de nouveau coïncider identité et nationalité, comme cela a cours dans les pays d’origine. «Name and shame»: le clientélisme politique qui accorde une prime à la non-assimilation devra être rendu public et sanctionné, car c’est ce clientélisme qui a créé les conditions du séparatisme.
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Faut-il y voir une tentative de «en même temps» en matière de politique d’immigration?
Au Danemark, la politique des sociaux-démocrates fait consensus. Les partis politiques se grandiraient en cessant d’instrumentaliser ce sujet, tant les conséquences sont lourdes, comme l’a rappelé Gérard Collomb lors de sa passation de pouvoirs Place Beauvau.
Un dernier point. Par respect, les élites françaises devraient cesser de donner des leçons de morale au continent africain (Maghreb inclus), leçons vécues comme autant d’humiliations et qui jouent un rôle dans l’éviction progressive de la France de ce continent. Pour le bonheur et la stabilité des deux rives, nous gagnerions à coopérer pour bâtir des relations saines et équilibrées.