Cour pénale internationale… ou les circonvolutions du ministère des Affaires étrangères

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TRIBUNE. Le communiqué du ministère français des Affaires étrangères sur les mandats d’arrêt demandés par la CPI contre des dirigeants du Hamas et des responsables israéliens a semé la confusion et soulevé des questions sur la cohérence de la position française regrette l’historien Marc Knobel.

Marc Knobel 24/05/2024 LE JDD

La CPI a demandé un mandat d'arrêt contre des dirigeants du Hamas et des responsables israéliens.
La CPI a demandé un mandat d’arrêt contre des dirigeants du Hamas et des responsables israéliens. © UPI/ABACA

Le 20 mai 2024, après que le Procureur auprès de la Cour pénale internationale (CPI) ait demandé la délivrance de mandats d’arrêts visant trois des principaux dirigeants du Hamas et le Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens pour des faits que Karim Khan qualifie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a publié un communiqué. Mais, les circonvolutions de ce communiqué ont provoqué quelques interrogations et des incompréhensions.

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Expliquons. Le ministère rappelle que « la France a condamné dès le 7 octobre les massacres antisémites perpétrés par le Hamas » et ces « attaques barbares » du Hamas sont rapportées. Mais, sur cette demande de mandats d’arrêts, tout en rappelant que la France alerte depuis de nombreux mois « sur le caractère inacceptable des pertes civiles dans la bande de Gaza et d’un accès humanitaire insuffisant », le ministère précise que « concernant Israël, il reviendra à la Chambre préliminaire de la Cour de se prononcer sur la délivrance de ces mandats ». Et d’ajouter aussitôt que « la France soutient la Cour pénale internationale, son indépendance, et la lutte contre l’impunité dans toutes les situations ».

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Ce n’est pas la première fois que la France rappelle « son plein soutien à la CPI » qui, comme le soulignait un précédent communiqué du MAE, « joue un rôle primordial dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux les plus graves ». Soit et convenons d’ailleurs que la France très attachée à l’indépendance et au travail de la juridiction internationale est dans son rôle.

Le seul communiqué qui aurait mérité d’exister est celui qui aurait dû critiquer l’attitude du procureur

Cependant, en admettant que le ministère compose avec la polysémie de la langue française, faudrait-il comprendre que la France se range derrière la CPI, au moment où son procureur vient de demander un mandat d’arrêt contre le Premier ministre d’un État démocratique attaqué par des terroristes ? Alors ? Est-ce à dire que la France s’aligne sur le camp du Sud global, plutôt qu’avec les démocraties occidentales et notamment la Tchéquie, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne ? Qui, à la différence de la France, ont promptement et vivement condamné Karim Khan.

Quant aux États-Unis, le président américain Joe Biden, pourtant en pleine campagne électorale pour sa réélection, a défendu Israël face à la CPI, jugeant « scandaleuse » la demande d’arrêts contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant. Parallèlement, Antony Blinken, le Secrétaire d’État américain a déclaré que la démarche de Karim Khan était une « honte ». En quelques mots, le journaliste Mohamed Sifaoui résume l’ambiguïté de ce communiqué du ministère des Affaires étrangères. « Le seul communiqué qui aurait mérité d’exister est celui qui aurait dû critiquer, à partir d’éléments objectifs, et s’interroger sur l’attitude du procureur Karim Khan mais aussi sur les anomalies que charrie sa démarche ».

Une énième démonstration d’un fondement idéologique du macronisme, le… en même temps ?

« Ces demandes simultanées de mandats d’arrêt ne doivent pas créer d’équivalence entre le Hamas et Israël », a néanmoins tenu à préciser Stéphane Séjourné, le ministre des Affaires étrangères, mardi, en réponse à une question au gouvernement de la députée insoumise Nathalie Oziol, furieuse. Une précision qui faisait cruellement défaut à la lecture du communiqué de son ministère, dont on peut raisonnablement penser qu’il a pourtant été soumis et approuvé par le ministre et probablement l’Élysée.

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À l’assemblée, le ministre a également fait état d’« un groupe terroriste qui s’est félicité des attentats du 7 octobre, qui les a revendiqués également de manière assumée », et d’un « État démocratique, Israël, qui doit respecter le droit international dans la conduite d’une guerre qu’il n’a pas déclenchée lui-même ». Alors, comment expliquer cette communication en deux temps qui questionne sur les mécanismes de la prise de décision au sein de la diplomatie et de l’appareil d’État français ?

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Israël Katz, le ministre des affaires étrangères, en visite à Paris, a fait part de son mécontentement. Katz a demandé à Stéphane Séjourné « d’annoncer haut et fort que la décision du procureur général est inacceptable pour vous et pour le gouvernement français, quelle que soit l’autorité du tribunal. C’est ce qu’ont fait nos amis du monde entier et c’est ce que j’attends de notre ami, le gouvernement français », a-t-il affirmé. Cela aurait-il pu jouer ?

Ou bien, le ministre a-t-il finalement considéré que la communication de son ministère était trop timide comparée à celles des autres chancelleries occidentales ? Et, que de facto, il importait de clarifier les déclarations de notre diplomatie ? Ce soutien de la France à la CPI a-t-il embarrassé une partie de la majorité présidentielle ? Ou bien, est-ce finalement, une énième démonstration d’un fondement idéologique du macronisme, avec le… en même temps ?

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