Michel Onfray au JDD : « Au Festival de Cannes, on récite le catéchisme du politiquement correct »

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ENTRETIEN. Alors que le Festival de Cannes a ouvert ses portes le 14 mai dernier, le philosophe Michel Onfray critique la domination du politiquement correct qui sévit dans le milieu artistique, le qualifiant de nouvel académisme comparable aux régimes totalitaires.

Propos recueillis par Ayrton Morice Kerneven. 24/05/2024

Michel Onfray est le philosophe le plus médiatique de France.
Michel Onfray est le philosophe le plus médiatique de France. © Sipa

Le JDD. Lors de l’ouverture du Festival de Cannes, Camille Cottin a étrillé le patriarcat. En quoi est-ce révélateur de la mission politique que s’est fixée la production artistique ?

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Michel Onfray. À Cannes, on récite le catéchisme du politiquement correct comme à Berlin en 1933 on récitait le catéchisme nazi, comme dans les années 50 on récitait le catéchisme bolchevique à Moscou, comme sous Reagan on récitait le catéchisme libéral à Los Angeles, comme sous Mitterrand on récitait le catéchisme mitterrandien à Paris ! Nombre d’acteurs ont fait le voyage à Berlin pendant l’Occupation, combien sont allés à Londres en 1940 ? Cela ne révèle rien d’autre que l’esprit moutonnier d’une corporation prompte par ailleurs à donner des leçons de probité. Le danger du patriarcat se trouve dans les banlieues chez ceux qui ont fait de l’islam leur code d’honneur ou dans les pays musulmans de la planète. Cette chose a-t-elle été dite à Cannes ? Je ne crois pas…

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La question du politiquement correct en art n’est pas nouvelle. Ce phénomène, en partie entretenu et subventionné par l’État, atteint-il vraiment le fonctionnement même de la société ?

Il gangrène le milieu de la culture. Quand de Gaulle a formé son gouvernement après la Libération, il a rassemblé tout le monde, sauf les collaborateurs. Les vichystes ont eu leur part, la preuve, Mitterrand ; les communistes aussi malgré leur collaboration avec les nazis en vertu du pacte germano-soviétique (1939-1941). De Gaulle ne pouvait donner les ministères importants aux communistes (qui pesaient alors un quart de l’électorat…), la justice, l’intérieur, la défense, l’économie, les finances, la politique étrangère. Il a confié la culture aux communistes, Malraux vient de ce côté-là de l’échiquier politique, et depuis, le monde de la culture croit être le seul à disposer de légitimité.

Ce « gauchisme culturel », pour utiliser la belle formule de Jean-Pierre Le Goff, infuse évidemment toute la société, de l’école à l’université en passant par le journalisme, les médias, la recherche, la télévision, la publicité, et, bien sûr, le cinéma.

On ne monte les marches de Cannes que si l’on a donné des gages aux mafieux

Les valeurs de l’artiste « engagé » reposaient autrefois sur des conceptions universalistes, la nouvelle dominante dans l’art tend à créer un nouvel académisme qui refuse la culture classique. Avons-nous renoncé à l’esprit critique, au doute ?

Nous assistons en effet à la manifestation d’un art d’État comme aux belles époques totalitaires ! Dans notre État jacobin, une vingtaine de personnes fait à Paris la loi dans son domaine – musique, peinture, cinéma, poésie, théâtre, opéra, édition, etc. Les subventions sont accordées par des officines construites dans l’entre-soi de l’idéologie de l’époque. On ne monte les marches de Cannes que si l’on a donné des gages aux mafieux qui tiennent les cordons de cette bourse et qui distribuent, ou non, les subventions.

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On associe souvent la figure de l’artiste à l’esprit bohème et au culte de l’originalité, pourtant lorsque ce dernier revendique sa libre-pensée, il lui est reproché d’être en dehors du cadre. Faut-il y voir une forme de censure qui ne dit pas son nom ?

C’est l’image que ce milieu veut donner de lui, mais c’est une mythologie. Quand Pascal affirme : « que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures », il pense à tous les hommes – les femmes aussi bien sûr –, artistes compris, philosophes également… Ceux qui veulent pouvoir continuer à travailler courbent l’échine, se taisent ou parlent en off.

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Au cœur de la vision du « camp du bien » réside la dénonciation d’un art considéré comme réservé à une catégorie de la population. En créant des hostilités de groupes, ne se prive-t-on pas de l’exceptionnelle capacité de l’art à créer du lien ?

On ne crée du lien avec l’art que dans l’esprit de Malraux qui consiste à hisser le plus grand nombre aux chefs-d’œuvre et non dans l’esprit de Jack Lang qui descend l’Art jusqu’à des activités qui n’exigent pas beaucoup de neurones… Quand Le Tartuffe de Molière vaut Tintin au Congo, l’autodafé de la culture a été pleinement consumé.

Les officiels ont toujours eu le vice de se présenter comme des marginaux !

Le phénomène qui traverse aujourd’hui le cinéma français, mais largement le domaine artistique, se présente comme anticulturel. L’est-il vraiment ?

Les officiels ont toujours eu le vice de se présenter comme des marginaux ! Quand ils entrent à l’Académie des Beaux-Arts malgré un passé communiste, c’est pour résister à l’académisme qui y règne, quand ils rejoignent le Quai Conti, c’est pour faire plaisir à leur père décédé ou pour régénérer une institution vieillissante, quand ils acceptent la Légion d’honneur, c’est à l’insu de leur plein gré, pour faire plaisir à une parentèle qui le leur demandait, etc. La culture officielle est une culture d’État.

« Nul ne ment autant qu’un homme indigné »écrivait Friedrich Nietzsche. A-t-il raison selon vous ?

Je crois que l’indignation ne conduit pas nécessairement aux mensonges : on peut être indigné sans mentir, mentir sans être indigné. On peut aussi être ni indigné ni menteur ou bien menteur et indigné… C’est une belle formule taillée sur mesure pour le baccalauréat de philosophie, mais elle est fausse.

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